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Magazine Savoir avril 2021

SPÉCIAL - santé mentale

Développer les compétences psychosociales des jeunes de la maternelle à l’Université afin de les outiller à composer avec les défis de la vie !

Julie Lane, Ph. D., professeure et directrice, et Joelle Lepage, coordonnatrice, Centre RBC d’expertise universitaire en santé mentale

Plus que jamais, l’importance de se préoccuper de la santé mentale de nos jeunes est mise de l’avant. Cette conscientisation collective amène une mobilisation sans précédent dans la mise en place d’initiatives contribuant au bien-être des jeunes. Bien que ces initiatives soient toutes fort intéressantes, force est de constater que leurs objectifs ne sont pas toujours clairs et qu’elles ne sont pas toujours appuyées scientifiquement.

À ce sujet, depuis plus de 30 ans, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) met de l’avant l’importance de développer les compétences psychosociales (ou socio émotionnelles) des jeunes. En juin 2020, dans son Avis au ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, le Conseil supérieur de l’éducation rappelait également l’importance de développer ces compétences afin de favoriser l’adaptation sociale et la réussite scolaire ultérieure des élèves. Pourtant, le Québec accuse un retard dans le développement d’initiatives qui soutiennent le développement de ces compétences chez les jeunes par rapport à d’autres pays. La prévalence élevée des troubles anxieux chez les jeunes du secondaire, qui s’élèvent à plus de 17 % selon la dernière enquête sur la santé des jeunes du secondaire (Institut de la statistique du Québec, 2018) n’est probablement pas étrangère à de ce retard. Peut-être est-il temps de se mobiliser collectivement et de mettre en place les conditions nécessaires pour remédier à cette situation ? 

La compétence psychosociale est « la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne. C’est la capacité d’une personne à maintenir un état de bien-être subjectif qui lui permet d’adopter un comportement approprié et positif à l’occasion d’interactions avec les autres, sa culture et son environnement. » (OMS, 1993, p. 7). De façon plus concrète, les compétences psychosociales réfèrent à la capacité de la personne à gérer ses émotions et son stress, à demander de l’aide en cas de besoin, à adopter des comportements prosociaux, à gérer adéquatement ses conflits, à s’estimer, etc. En favorisant le développement global de la personne (ex. : augmentation du bien-être, diminution de la consommation de substances, diminution des comportements violents, etc.)( INPES, 2015), elles lui permettent de s’épanouir pleinement et de participer à la vie sociale (OMS, 2003). Bref, développer les compétences psychosociales des jeunes, c’est leur donner les outils nécessaires pour affronter les défis de la vie et cultiver leur bien-être.  

En réponse à ce besoin, le Centre RBC d’expertise universitaire en santé mentale a développé, au cours des quatre dernières années, les programmes de prévention des troubles anxieux HORS-PISTE, en collaboration avec plus d’une centaine d’acteurs du réseau de la santé et des services sociaux, du réseau de l’éducation, des organismes communautaires et du réseau universitaire. Afin de prévenir les troubles anxieux, mais également d’autres problématiques d’adaptation, ces programmes misent sur le développement des compétences psychosociales des élèves et l’établissement de milieux sains et bienveillants, et ce, du préscolaire au postsecondaire.

« Délaisse les grandes routes, prends les sentiers », disait Pythagore. HORS-PISTE représente ce sentier inhabituel que l’on souhaite que les jeunes explorent. Les programmes misent sur des ateliers participatifs qui proposent aux jeunes d’essayer de prendre des chemins nouveaux, d’envisager de nouvelles solutions pour composer avec leurs enjeux, de reconnaître leurs forces et leurs limites, etc.   

Le programme HORS-PISTE préscolaire-primaire (élaboré en 2020) propose des ateliers de prévention universelle, animés en groupe classe par le personnel enseignant ou le personnel professionnel de l’école.  Des activités de formation et divers matériels de réinvestissement sont également proposés à l’équipe-école et aux parents afin de les sensibiliser à l’anxiété et les inviter à soutenir le réinvestissement des apprentissages acquis par les jeunes dans les ateliers. Actuellement, une trentaine d’écoles déploient le programme. Une évaluation d’implantation et des retombées sera réalisée dans les prochains mois. Ce programme est soutenu financièrement par le CISSS de la Montérégie-Centre afin de l’évaluer, l’adapter et le rendre accessible à plusieurs régions du Québec.

Le programme HORS-PISTE secondaire (élaboré en 2018) comporte deux volets : Exploration (volet prévention universelle) qui est implanté auprès de l’ensemble des élèves et Expédition (volet intervention précoce) pour les élèves qui demeurent vulnérables malgré leur participation au volet Exploration. Le volet Exploration s’actualise par des ateliers offerts à l’ensemble des élèves tout au long des 5 années du secondaire. Des activités de formation et divers matériels de réinvestissement sont également proposés à l’équipe-école et aux parents afin de les sensibiliser à l’anxiété et les inviter à soutenir le réinvestissement des apprentissages acquis par les jeunes dans les ateliers. Le volet Expédition s’actualise par des ateliers de groupe offerts aux jeunes de secondaires 1 et 2 ainsi qu’à leurs parents, afin de les aider à reprendre du pouvoir sur leur anxiété et sortir, pas à pas, de leur zone de confort. Actuellement, une quarantaine d’écoles déploient le programme. 

Plusieurs évaluations de ce programme au fil des dernières années ont permis de démontrer qu’il était associé à une diminution de plusieurs symptômes anxieux, mais également à une diminution de plusieurs facteurs de risque associés à l’anxiété et à d’autres troubles d’adaptation. De plus, le programme est associé à une amélioration du sentiment d’auto-efficacité personnelle. 

Ce programme invite les acteurs du réseau de l’éducation et celui de la santé et des services sociaux à unir leurs forces pour contrer la détresse psychologique des élèves. Le programme a bénéficié d’un soutien financier du réseau universitaire intégré de santé et de services sociaux de l’Université de Sherbrooke (RUISSS) et du CISSS de la Montérégie-Centre afin de l’adapter et le rendre accessible à plusieurs régions du Québec. De plus, il bénéficie présentement d’un soutien financier du Fonds d’innovation pour la promotion de la santé mentale de l’Agence de la santé publique du Canada et du Ministère de la Santé et des services sociaux afin de permettre l’évaluation de l’implantation et des effets du programme pour favoriser sa mise à l’échelle à l’ensemble des écoles secondaires du Québec. Cette évaluation est effectuée par une équipe de recherche interdisciplinaire, interuniversitaire et inter-réseau composée de 29 personnes aux expertises variées.

Le programme HORS-PISTE postsecondaire (élaboré en 2018) s’actualise dans le cadre du Projet innovant de promotion de la santé psychologique de la communauté étudiante de l’Estrie. Le Centre RBC d’expertise universitaire en santé mentale a mobilisé les cinq institutions d’enseignement supérieur de l’Estrie (Université de Sherbrooke, Université Bishop’s, Cégep de Sherbrooke, Collège Champlain et Séminaire de Sherbrooke) pour le développement de ce projet innovant et collaboratif. Ce projet vise à favoriser la santé psychologique des étudiants avec la mise en place (et l’évaluation) d’une approche globale comprenant plusieurs initiatives réputées efficaces et arrimées aux besoins et réalités de la communauté et qui permettent de diminuer les facteurs de risque et augmenter les facteurs de protection liés aux problématiques de santé mentale. Présentement, le Centre RBC accompagne l’implantation et l’évaluation des initiatives et planifie un grand rassemblement qui se déroulera dans le cadre de l’ACFAS (en mai 2021 prochain) qui permettra aux établissements de partager les initiatives implantées et évaluées. 


Références

Institut de la statistique du Québec. (2018). Enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire 2016-2017.
Résultats de la deuxième édition. TOME 2 : L’adaptation sociale et la santé mentale des jeunes. https://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/sante/enfants-ados/adaptation-sociale/sante-jeunessecondaire-2016-2017-t2.pdf

Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (2015). Développer les compétences psychosociales chez les jeunes enfants. Santé publique France. https://www.santepubliquefrance.fr/content/download/141417/2118162

Organisation mondiale de la Santé. (2003). Skills for health: skills-based health education including life skills: an important component of a child-friendly/health-promoting school. Genève, Suisse. 

Organisation mondiale de la Santé. (1993). Life skills education for children and adolescents in schools. Genève, Suisse