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Magazine Savoir décembre 2020

Développement durable

Un virage souhaité pour les organismes scolaires

| Par Paul Lanoie, Ph. D. Commissaire au développement durable et vérificateur général adjoint au Vérificateur général du Québec


En tant que commissaire au développement durable, j’ai publié, en mai 2019, les résultats d’un audit sur la contribution volontaire des organisations non assujetties à la Loi sur le développement durable1, dont les organismes scolaires. Cet audit relève plusieurs lacunes, notamment, que les organisations responsables d’un grand pan des activités du secteur public n’ont pas pris le virage souhaité en matière de développement durable. En effet, un faible pourcentage d’organisations non assujetties des secteurs municipal, de l’éducation et de la santé et des services sociaux ont entrepris une démarche de développement durable. En complément à cet audit, j’ai fait part de mes observations sur les limites de l’adoption volontaire d’une démarche de développement durable2. Je souhaiterais partager avec vous mes observations en faisant valoir les avantages d’une meilleure intégration du développement durable à l’école, notamment en présentant quelques bonnes pratiques observées à l’extérieur du Québec3.

Éducation et développement durable

Le développement durable à long terme n’est possible que si les individus et les sociétés modifient leur manière de penser et d’agir. L’éducation est essentielle pour opérer cette transformation. L’éducation au développement durable aide les individus et les groupes à trouver des solutions pour faire face aux défis liés à la durabilité. Elle consiste à intégrer dans l’enseignement et l’apprentissage des problématiques prioritaires en matière de développement durable, telles que les changements climatiques, la réduction des risques de catastrophe, la biodiversité, la réduction de la pauvreté et la consommation durable. Ainsi, l’éducation au développement durable donne aux apprenants les moyens de prendre des décisions en toute connaissance de cause et d’accomplir des actions responsables en vue de l’intégrité environnementale, de la viabilité économique et d’une société juste pour les générations présentes et à venir, et ce, dans le respect de la diversité culturelle. Notons que l’Organisation des Nations Unies vise justement à faire en sorte que tous les élèves acquièrent les connaissances et compétences nécessaires pour promouvoir le développement durable dans le cadre de son Programme de développement durable à l’horizon 2030. 

Initiatives en matière d’éducation au développement durable à l’international et au Canada 

L’UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture) promeut l’éducation au développement durable depuis 1992. De 2005 à 2014, elle a été le chef de file de la Décennie des Nations Unies pour l’éducation en vue du développement durable. L’UNESCO coordonne maintenant la mise en œuvre du Programme d’action global pour l’éducation au développement durable, qui a été approuvé par les États membres en 2013. Peu avant la fin de la Décennie des Nations Unies pour l’éducation en vue du développement durable, elle a demandé à chaque État membre, dont le Canada, de répondre à un questionnaire sur les succès remportés et les défis relevés au cours de cette période. Il serait fastidieux de faire état de toutes les initiatives intéressantes mentionnées dans les réponses des différents pays ou de toutes les bonnes pratiques relevées au cours de cette décennie. Nous en reprenons quelques-unes qui sont toujours en vigueur, à titre d’illustration.

Ainsi, en France, selon le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, l’éducation au développement durable est introduite depuis 2004 dans l’ensemble des établissements scolaires préuniversitaires, notamment par l’intégration des thèmes et des enjeux liés à l’environnement et au développement durable au sein des programmes d’enseignement. De plus, le développement durable est inclus dans la formation initiale et continue des enseignants. L’éducation au développement durable s’intègre aussi dans les projets pédagogiques des établissements. Ces derniers sont ainsi encouragés à s’engager dans une démarche globale de développement durable et à solliciter le label E3D (établissement en démarche globale de développement durable). 

Du côté de la Suisse, selon la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique, les cantons intègrent l’éducation au développement durable dans les plans d’études régionaux relatifs à la scolarité obligatoire. Afin d’en soutenir la mise en œuvre dans les écoles, les cantons, le gouvernement fédéral et des acteurs du milieu ont joint leurs efforts pour mettre sur pied un centre national de prestations et de compétences pour l’éducation au développement durable. Depuis 2013, ce centre encourage, en partenariat avec des acteurs scolaires et extrascolaires, l’ancrage pratique, la mise en œuvre et l’essor de l’éducation au développement durable, notamment en proposant des ressources pédagogiques spécialisées, un soutien financier pour des projets, des conseils pédagogiques et des formations aux enseignants.

Au Canada, deux initiatives, signalées dans la réponse canadienne au questionnaire évoqué plus haut, méritent d’être soulignées. D’une part, le Manitoba a instauré en 2011 un nouveau cours
facultatif pour les élèves de 12e année, intitulé Enjeux mondiaux : citoyenneté et durabilité.
Offert dans toutes les écoles secondaires, ce cours permet aux élèves de consolider les connaissances acquises dans l’ensemble des disciplines, pour qu’ils deviennent des agents du changement en faveur d’un avenir durable et équitable. De plus, cette province a introduit l’éducation au développement durable comme un élément transdisciplinaire que les enseignants doivent intégrer dans leur classe. D’autre part, la Colombie-Britannique et la Nouvelle-Écosse s’assurent dorénavant que toutes leurs nouvelles écoles obtiennent une certification LEED (Leadership in Energy and Environmental Design).

Initiatives québécoises en matière d’éducation au développement durable 

En ce qui concerne le Québec, la réponse canadienne au même questionnaire  met notamment l’accent sur le réseau des établissements verts Brundtland. Ce réseau a été créé en 1993 par la Centrale des syndicats du Québec, en collaboration avec différents partenaires. Selon le site Web du réseau, ce dernier compterait maintenant 1 500 membres, qui sont en majorité des écoles primaires et secondaires. Pour être membre de ce réseau, un établissement doit montrer qu’il accomplit un certain nombre d’actions éducatives liées à chacune des quatre valeurs promues, soit l’écologie, le pacifisme, la solidarité et la démocratie.

Il est à noter que le réseau des établissements verts Brundtland ne résulte pas d’une initiative gouvernementale puisqu’il a été créé par une centrale syndicale. De plus, les quatre valeurs promues par le réseau ne sont pas entièrement alignées sur les enjeux privilégiés par le gouvernement du Québec en matière de développement durable. Par exemple, l’accent mis sur le pacifisme ne trouve pas d’écho dans la Loi sur le développement durable ni dans la stratégie gouvernementale 2015-2020.

Cela étant dit, nous avons relevé, lors de notre audit, de bonnes pratiques dans les commissions scolaires, y compris les écoles, ainsi que dans les établissements d’enseignement privés consultés. Nous avons fait des entrevues téléphoniques avec six organismes scolaires et visité deux écoles secondaires et une école primaire.

Ainsi, dans une des écoles visitées, les élèves trient eux-mêmes leurs déchets de table et les déposent dans des bacs de compostage ou de recyclage. Par ailleurs, dans une commission scolaire, les ententes conclues avec les responsables des services alimentaires favorisent l’utilisation de vaisselle réutilisable et, dans le cas contraire, la vaisselle jetable ne peut pas être en plastique; par exemple, elle doit être biodégradable ou compostable.

Ces exemples en matière de gestion écoresponsable sont intéressants, mais ils ne s’accompagnent pas nécessairement d’engagements sur le plan pédagogique. En fait, le volet pédagogique prévu dans le plan d’accompagnement-conseil de la table du secteur de l’éducation a pris du retard. Par exemple, la diffusion d’un guide pour l’intégration du développement durable dans l’enseignement, prévue pour décembre 2017, n’a eu lieu qu’en
mars 2019.

Par ailleurs, les initiatives en développement durable que nous avons relevées, lors de notre audit, au sein des organismes scolaires consultés sont souvent amorcées par des personnes engagées. Bien que ces initiatives soient stimulantes pour le milieu, elles ne s’inscrivent pas toujours dans une démarche intégrée qui pourrait contribuer davantage aux enjeux de développement durable de l’organisation et à l’atteinte des objectifs de la stratégie gouvernementale. De plus, comme les initiatives observées sont souvent associées à une poignée d’individus, leur pérennité n’est pas assurée. Pour qu’une démarche de développement durable soit un succès, elle nécessite une implication à tous les niveaux de l’organisation.

Conclusion

En somme, le mouvement international en faveur de l’éducation au développement durable a peu retenu l’attention des décideurs publics au Québec et il a laissé relativement peu de traces. De même, comme le soulignait mon prédécesseur, M. Jean Cinq-Mars, une plus grande intégration de l’ensemble des valeurs relatives au développement durable dans tous les ordres d’enseignement ne pourrait que favoriser l’émergence de celles-ci dans la société. Ainsi, les centaines de milliers d’élèves et les dizaines de milliers d’enseignants du primaire et du secondaire pourraient constituer un levier important pour une transition vers le développement durable. Pourquoi s’en priver ?

Compte tenu des constats formulés dans notre rapport d’audit et de l’intérêt qu’il y a à donner plus de place au développement durable dans le secteur de l’éducation, des questions se posent aux autorités gouvernementales concernées. Une piste de solution pour le gouvernement pourrait être d’assujettir le secteur de l’éducation à la Loi sur le développement durable étant donné son importance stratégique, mais en simplifiant les exigences et en se concentrant sur les enjeux les plus fondamentaux. Les mois qui viennent, pendant lesquels la prochaine stratégie gouvernementale de développement durable sera élaborée, constitueront vraisemblablement un moment charnière pour une prise de décision éclairée. •

 


  1. Vérificateur général du Québec, Rapport du commissaire au développement durable. Mai 2019. Application de la Loi sur le développement durable 2018-2019 : Contribution volontaire des organisations non assujetties des secteurs municipal, de l’éducation et de la santé et des services sociaux. En ligne : https://www.vgq.qc.ca/Fichiers/Publications//rapport-cdd//2019-2020-CDD-mai2019//fr_Rapport2019-2020-CDD-mai2019-Chap02.pdf 
  2. Vérificateur général du Québec, Rapport du commissaire au développement. Mai 2019. Observations du commissaire au développement durable : Limites de l’adoption volontaire d’une démarche de développement durable. En ligne : https://www.vgq.qc.ca/Fichiers/Publications//rapport-cdd//2019-2020-CDD-mai2019//fr_Rapport2019-2020-CDD-mai2019-Chap01.pdf 
  3. Ce texte reprend les grandes lignes des observations du commissaire au développement durable citées précédemment.