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Magazine Savoir décembre 2020

Entrevue avec Jean-François Roberge, ministre de l’Éducation

| Par Caroline Lemieux, directrice des communications et des affaires publiques à la FCSSQ

À l’occasion du mi-mandat du gouvernement Legault, le magazine Savoir s’est entretenu avec le ministre de l’Éducation, monsieur Jean-François Roberge, afin de faire le point sur cette rentrée scolaire hors de l’ordinaire qui a été marqué par la pandémie, la transformation de la gouvernance scolaire ainsi que par les chantiers encore à réaliser.

Quel a été le plus grand défi de cette rentrée scolaire en contexte de pandémie, selon vous ?

Le plus grand défi aura été de conjuguer deux choses qui sont par nature en contradiction, soit de donner de la stabilité et de la prévisibilité au réseau, aux dirigeants comme aux gens dans les écoles qui ont besoin de planifier à moyen long terme, et des consignes claires et interprétées de la même manière, et l’adaptabilité à la situation de la pandémie, soit la capacité à changer quand on a à changer à mesure que l’on en apprend sur le virus et son évolution. Le plus grand défi de l’automne est de donner de la stabilité et de la prévisibilité au réseau tout en étant agile plutôt que figé. C’est vraiment le principal défi, on marche sur un fil de fer !

De manière générale, êtes-vous satisfait du déroulement de cette rentrée et de l’automne ?

Oui, je suis vraiment très satisfait de ce qui se passe dans les écoles. C’est sûr que ce n’est pas parfait, mais personne ne s’attendait à ce que ce soit parfait. Il faut se souvenir que même en juin, personne ne s’attendait à ce qu’on puisse rouvrir les écoles à temps plein à la grandeur du Québec. Quand on écoutait ce qui se disait, peu de gens pensaient qu’on irait aussi loin et que la rentrée scolaire soit aussi bien réussie. Donc, je suis très satisfait, dans les circonstances, de ce qui se passe dans le réseau scolaire. 

Je suis très satisfait de l’attitude des dirigeants et du personnel scolaire. Il y avait un danger d’avoir une moins grande  mobilisation, mais tout le monde répond présent. Il y a le contexte des négociations qui aurait pu rendre difficile l’opérationnalisation sur le terrain, mais ce n’est pas du tout le cas. Tout le monde est très professionnel et je pense que les parents l’apprécient. Les résultats d’un sondage de la firme Synopsis montrent d’ailleurs que près de 75 % des parents sont satisfaits ou très satisfaits de ce qui se passe dans les écoles. D’avoir un aussi haut taux de satisfaction alors qu’on vit une année atypique, je pense que c’est parlant.

Vous avez tout de même essuyé quelques critiques; croyez-vous qu’on aurait pu être mieux préparé, ou mieux faire certaines choses ?

Je pense que la chose qui nous a vraiment posé des difficultés et que je ferais différemment si c’était à refaire c’est la manière de compiler les données au début de septembre. La première semaine de septembre, on avait vraiment de la difficulté à avoir un portrait clair du nombre de cas positifs, du nombre d’écoles touchées, du nombre de classes fermées temporairement. Ça fait maintenant deux mois que ça va vraiment très bien, qu’on est très transparent, et que les données sont disponibles tous les jours à 13 h. Mais je suis obligé de reconnaître qu’il y a eu une ou deux semaines de flottement et si c’était à refaire on se préparerait mieux à faire la gestion des données. 

Plusieurs soulèvent des inquiétudes quant à l’impact du contexte pandémique sur la santé mentale des jeunes, mais aussi sur leur motivation et donc leurs résultats scolaires ? Êtes-vous inquiet pour la santé des jeunes ? Craignez-vous que la situation nuise à la persévérance scolaire  ?

C’est sûr que c’est préoccupant, mais tout le monde en Occident vit présentement cette « passe » difficile. Ce n’est pas propre aux élèves ou au réseau scolaire québécois. Tous les réseaux scolaires au Canada et en Occident le vivent et ce n’est pas propre au réseau scolaire non plus, c’est également difficile pour les entreprises, les gens du milieu culturel; c’est abominable ce qu’ils vivent. Nous, on réussit à garder nos écoles ouvertes grâce au travail du personnel, mais elles sont ouvertes alors qu’il y a beaucoup de secteurs qui sont fermés. Cela étant dit, je pense que les élèves, les jeunes, sont plus vulnérables à cette situation que le reste de la population, et ils sont plus susceptibles d’être impactés. On en est conscient et c’est pour cela qu’on essaie de soutenir du mieux qu’on peut les gens dans les écoles en donnant des fonds qui permettent de compléter des tâches, car il y a beaucoup de gens dans le réseau qui travaillent avec des demi-tâches ou du temps partiel. On peut ajouter des millions d’heures de travail dans le réseau scolaire et donc des millions d’heures de services aux élèves. C’est ce qu’on a fait en ajoutant des fonds et aussi en travaillant en collaboration avec le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux pour ajouter de services en santé mentale. Donc on reconnaît que c’est définitivement une situation qui touche les élèves.


« On sait bien que c’est un tour de force de garder nos écoles ouvertes en période de pandémie mondiale. Je pense que le réseau le fait de belle façon. C’est très exigeant pour tout le monde : le personnel des services de garde, le personnel de soutien, les professionnels, les enseignants, les directions, les cadres scolaires aussi qui travaillent très fort pour soutenir les gens dans les écoles, qui s’activent, qui collaborent avec la santé publique lorsqu’il y a des cas, qui collaborent au dépistage, mobilisent tout le monde. C’est beaucoup de travail ! » 


Le personnel du réseau scolaire commence lui aussi à montrer des signes d’essoufflement; comment faire pour les garder motivés ? Craignez-vous les impacts de la pandémie sur la santé mentale du personnel scolaire ? Sur l’attraction et la rétention de personnel ?

Je crois que le personnel a droit à toute la considération et la reconnaissance du gouvernement et de toute la société. On sait bien que c’est un tour de force de garder nos écoles ouvertes en période de pandémie mondiale. Je pense que le réseau le fait de belle façon. C’est très exigeant pour tout le monde : le personnel des services de garde, le personnel de soutien, les professionnels, les enseignants, les directions, les cadres scolaires aussi qui travaillent très fort pour soutenir les gens dans les écoles, qui s’activent, qui collaborent avec la santé publique lorsqu’il y a des cas, qui collaborent au dépistage, mobilisent tout le monde. C’est beaucoup de travail ! Mais je pense que le gouvernement a énormément facilité le travail de ceux qui ont à en faire plus; on a coupé dans la bureaucratie en revoyant complètement les exigences pour la déclaration des codes pour les professionnels; on a embauché du nouveau personnel à temps plein; on a donné des fonds pour compléter les tâches du personnel en place. On a mis en place l’initiative Répondez présent pour avoir du sang neuf dans nos écoles pour avoir du personnel dans les services de garde, du personnel de surveillance, de conciergerie qui sont les endroits où on avait les plus grandes pénuries. Les enseignants et les professionnels avaient exprimé leur mécontentement de devoir faire de la surveillance et du nettoyage. La solution était d’amener du renfort et on l’a fait. On a aussi modifié le calendrier pour donner trois jours de formation et de planification pour que les jours d’école, qu’on garde, soient plus efficaces et aussi pour que les profs et tout le personnel se sentent mieux outillés. À plusieurs reprises depuis le début de l’année, on a répondu positivement à des demandes : pour ces trois journées, pour les modifications au calendrier, pour passer de trois à deux bulletins, et pour la pondération des examens ministériels. On a amené beaucoup de choses qui peuvent faire baisser la tension et l’angoisse. 

Croyez-vous qu’on puisse tirer certaines leçons de la situation, notamment en matière d’enseignement à distance ?

Je pense qu’on a vu le réseau grandir à vitesse grand V. D’abord, il fallait acheter des outils comme des tablettes et des ordinateurs. Ce qu’on a fait et qui relevait du gouvernement. Ensuite, il fallait s’approprier les outils, les logiciels et les façons de faire. Nous avons donc créé des conditions favorables en donnant des cours, des moyens, des ressources financières, et en donnant les trois jours de formation. Je ne pense pas qu’on va revenir en arrière sur la technopédagogie. Lorsqu’on va pouvoir ramener tous les élèves en classe en tout temps, c’est ce que nous allons faire avec grand bonheur, car je pense que tout le monde est conscient que l’enseignement à distance est un bon plan B, mais ça reste un plan B. Par contre, la technopédagogie, elle, c’est un plan A, et ça va rester. 

Après la pandémie, il y aura la relance de l’économie. Quel rôle y voyez-vous pour la formation professionnelle, l’éducation des adultes et les services aux entreprises des centres de services scolaires ?

Je pense que le réseau de l’éducation va être encore plus sollicité qu’auparavant pour la relance économique. C’est sûr que la formation et la qualification des travailleurs sont essentielles quand on parle de croissance ou de relance. Mais la relance économique, ça ne sera pas juste de redémarrer les entreprises avec les travailleurs qu’on avait et avec les compétences qu’on avait. Il y a une transformation accélérée qui se fait en ce moment, donc on a particulièrement besoin de nos centres de formation professionnelle pour faire de la qualification et de la requalification. L’école tout au long de la vie, dont on parle depuis quelques années, va se vivre vraiment dans les prochains mois et le réseau scolaire va être appelé à jouer un très grand rôle avec la création de formations courtes et avec la reconnaissance des acquis. Il va falloir être plus habile avec la reconnaissance des acquis, car quand ce sont des adultes, qui au milieu de leur carrière, doivent prendre une pause pour se requalifier, il faut que ce soit rapide et efficace. Ils ne doivent pas sentir qu’ils perdent leur temps et leurs revenus parce qu’ils vont suivre des cours pour lesquels ils ont déjà des compétences. Le réseau est appelé à améliorer sa capacité à former rapidement et efficacement en reconnaissance des acquis de tous et c’est comme ça que de plus en plus de gens vont se tourner vers la formation professionnelle et que le mot va se passer. Il y a d’ailleurs plus de 70 M$ dans la récente mise à jour économique pour la formation générale des adultes et pour la formation professionnelle, pour aller dans cette direction.

Le gouvernement mise entre autres sur l’accélération des projets d’infrastructure pour cette relance, mais comme vous le savez, le calendrier scolaire impose des contraintes importantes aux projets d’agrandissement et de rénovation. Pour tenter d’y remédier, la FCSSQ a publié, en collaboration avec l’Association de la construction du Québec, un guide pour la construction en cohabitation. Pensez-vous que cela puisse faire partie de la solution ?

Je suis 100 % derrière cette orientation. Il y a de la mitigation à faire pour que ce soit vivable et même agréable pour le personnel et les élèves d’apprendre dans ces conditions. Donc, il faut que les élèves et le personnel acceptent de vivre l’école autrement et que les travailleurs de la construction acceptent de travailler autrement, mais on n’a pas le choix. On ne peut penser que tous les travaux d’importance peuvent se faire en deux mois, soit en juillet et août, sauf pendant les vacances de la construction. On n’y arrivera pas. On a mis des sommes importantes pour rénover nos écoles. On a beaucoup d’ambition pour que notre parc-école soit remis à jour. Il y a une urgence de le faire et il faut revoir
nos façons de travailler. Déjà, on a introduit les modulaires, pour que les élèves aillent dans les modulaires pendant les travaux, ce qui ne se faisait pas avant. On a même autorisé à Montréal la construction d’écoles de transition; une école où les jeunes vont pendant qu’on rénove leur école et quand c’est fait, ils retournent dans leur école et l’école de transition est utilisée pour d’autres écoles. C’est correct pour des travaux majeurs, mais la tendance lourde est qu’il faut être capable d’avoir en concomitance des élèves qui apprennent et des travailleurs qui rénovent. Je l’ai moi-même vécu comme enseignant lors de la rénovation du toit de l’école où j’enseignais. Cela exige un peu de compromis, mais on n’a pas le choix de réussir ce chantier.

Un autre dossier de cette rentrée a été la mise en place de la nouvelle gouvernance scolaire. Êtes-vous satisfait de ce qui a été fait jusqu’à maintenant ?

Ça s’est tellement bien passé que cela est remarquable d’avoir réussi cette transformation de la gouvernance alors qu’on était en pandémie et qu’on réinventait nos façons de faire. C’est impressionnant de voir la mobilisation qu’il y a eu chez les membres de la communauté, les parents et les membres du personnel pour constituer les conseils d’administration. J’ai eu des échos très positifs des premières rencontres, car je vous garantis que je suis cela de très près et que j’ai assez souvent des comptes-rendus de ce qui se passe dans les conseils d’administration. Tout le monde est volontaire, tout le monde est en mode apprentissage, tout le monde est aussi content de la qualité des formations qui sont offertes par le ministère en collaboration avec l’ÉNAP et l’université de Sherbrooke. C’est un beau succès et les gens qui s’impliquent ont d’autant plus de mérite qu’ils le font dans un contexte particulier.

La différence entre les anciennes commissions scolaires et les centres de services scolaires n’est pas toujours évidente à saisir pour la population; comment la décririez-vous ?

C’est une dépolitisation de la gouvernance de proximité dans le réseau scolaire. Ce simple état de fait amène un changement de ton et d’ambiance salutaire pour la gouvernance régionale des centres de services scolaires. On a vraiment remis les écoles et les centres de services entre les mains de la communauté et ceux et celles qui prennent les décisions maintenant sont des gens qui connaissent les élèves par leur nom. Que l’on soit des parents, que l’on soit des membres du personnel impliqués sur le conseil d’administration, on est des gens qui connaissent les élèves par leur nom, qui vivent l’école au quotidien, donc ça c’est un grand changement. Et il y a bien sûr l’apport inestimable des gens de la communauté qui avec des nouveaux profils de compétences arrivent en tant que gestionnaires. Je pense qu’on va cueillir les fruits de ce changement dans un an et les années à venir, mais déjà le changement de ton est apprécié de manière unanime.

Selon vous, quel sera l’impact le plus important de ce changement de gouvernance ?

L’impact à très court terme est une grande mobilisation de tous les intervenants qui œuvrent dans le réseau. Le fait d’avoir au conseil d’administration un tiers des sièges réservés aux membres du personnel est très mobilisant, c’est une reconnaissance, une valorisation de ce personnel. On parle de la valorisation des enseignants, mais en réalité il faut valoriser toutes les professions du monde scolaire. À moyen terme, on va avoir un changement de ton avec des gens qui ne sont pas là pour faire de la politique, ou vérifier leur intérêt pour aller ensuite en politique municipal, provincial ou fédéral, mais des gens qui sont vraiment là pour contribuer. Et à long terme, ça va être la compétence des nouveaux administrateurs avec le profil des gens de la communauté qui va se faire sentir dans la prise de décision et dans la rigueur des conseils d’administration, dans la gouvernance pure.

La Fédération a elle aussi changé de gouvernance à la suite de l’adoption du projet de loi 40; comment envisagez-vous la nouvelle collaboration entre la Fédération et le ministère de l’Éducation ?

Déjà on voit que la FCSSQ a d’excellentes relations avec tous les partenaires, le ministère comme les autres. Ça se passe très bien à ce moment-ci, mais je pense qu’il va y avoir beaucoup d’opportunités à saisir au fur et à mesure que cette nouvelle mission sera clarifiée et comprise par chacun d’entre nous. Je crois qu’on arrive plutôt avec un rôle de soutien administratif au réseau et que dans le fond, la Fédération est comme un super centre de services scolaire. Elle va venir aider et soutenir le réseau d’un point de vue juridique, administratif et de coordination des actions. Il y a une plus-value à cela, mais cela va prendre un certain temps avant que tout le monde en voit les bénéfices.

Le projet de loi prévoyait aussi la création de comités d’engagement vers la réussite dans chaque CSS; quel est son rôle exactement et l’objectif poursuivi ?

Il est au cœur de la rédaction du plan d’engagement vers la réussite. Cela vient apporter une uniformité sur la manière dont le plan d’engagement vers la réussite sera rédigé dans tous les centres de services scolaires. Et je suis particulièrement fier d’avoir fait une place sur ce comité à un membre issu de la recherche. D’avoir fait entrer de manière précise et formelle, via un article du projet de loi, un chercheur des facultés des sciences de l’éducation, c’est un symbole important. On va avoir autour de la table des gens des sciences de l’éducation et des gens du terrain qui vont réfléchir un plan d’engagement vers la réussite à moyen et long terme; juste ça, c’est nouveau; c’est une petite révolution.

Votre gouvernement est à mi-mandat et a réalisé plusieurs de ses promesses en éducation; quels sont les prochains projets que vous aimeriez réaliser ?

Au cours des deux prochaines années, le défi d’implantation des mesures qu’on a mises en place en début de mandat demeure un défi important. La transformation de la gouvernance par exemple, avec la mise en place des conseils d’administration et la formation des membres, n’est pas terminée. C’est la même chose pour la maternelle 4 ans. Il y a pratiquement 1 000 classes d’ouvertes et le défi est d’en avoir 2 600 en cinq ans, donc on n’est pas encore arrivé à destination. Nous avons également rendu public, récemment, le nouveau programme-cycle pour le préscolaire. Cela est formidable, mais il faut maintenant créer un guide pour l’accompagner, faire la formation des enseignants et vivre l’implantation de ce programme à partir de septembre prochain; c’est tout un défi encore. La gouvernance et le cycle du préscolaire demeurent donc des enjeux importants pour la deuxième partie du mandat tout comme le chantier des belles écoles. On a mis en place un guide de planification immobilière pour les écoles de la nouvelle génération, mais on n’en a pas encore inauguré une. Elles sont en construction et il faut monitorer tout ça. Il y a aussi la réforme en profondeur du cours Éthique et culture religieuse qui est amorcée. La consultation est faite, mais les grandes lignes du cours n’ont pas encore été rendues publiques et le programme n’est pas encore rédigé. Et le nouveau chantier que je veux absolument mener à terme avant la fin du mandat est celui de la révision en profondeur du Protecteur de l’élève, comme nous l’avons annoncé en campagne électorale. J’ai une grande volonté d’amorcer et de mener à terme ce chantier et ce ne sera pas anodin de le faire en deux ans : lancer la consultation, déposer le projet de loi, faire les consultations, l’adopter et l’implanter en deux ans, ça ne sera pas une mince tâche ! •