Un projet collaboratif pour guider la rénovation des écoles du Qubec

Carole Després
Professeure à l’École d’architecture de l’Université Laval
et directrice de Schola.ca

Catherine Dubois
Professionnelle de recherche et coordonnatrice de Schola.ca
Crédit photo :
Université Laval, 2017
Schola.ca, la plateforme d’expertise en architecture scolaire a pour objectif de guider les acteurs responsables de la rénovation et du réaménagement des écoles du Québec. L’an dernier, l’importante mobilisation des commissions scolaires et de plusieurs membres du personnel des écoles primaires a permis de colliger les informations requises pour tracer le portrait provincial des bâtiments hébergeant des écoles primaires et de leurs usages. Retour sur cette collaboration sans précédent.
Au cours des quatre prochaines années, des chercheurs de l’Université Laval en design (architecture, design urbain, design de produits), en éducation, en psychologie et en sociologie développeront la plateforme en libre-accès Schola.ca en réponse à un mandat de la Direction générale des infrastructures du MEES. Leur mission est d’élaborer des outils d’information, de diagnostic et d’aide à la conception pour guider la rénovation des écoles du Québec, un chantier provincial qui s’étalera sur plusieurs années. L’objectif est d’aider les gestionnaires et les professionnels impliqués dans la rénovation des écoles à cibler les solutions les plus susceptibles d’y améliorer la qualité de vie et de contribuer à la réussite éducative des élèves.
Rénover nos écoles, un défi colossal et une opportunité à saisir
Le parc immobilier scolaire québécois compte plus de 3 000 bâtiments de niveaux primaire et secondaire. Près de 70 % ont été construits avant la création du ministère de l’Éducation en 1964, la majorité entre 1948 et 1973. Ces bâtiments ont atteint ou dépassé ce qu’on appelle en architecture un premier cycle de vie, après quoi des rénovations majeures s’imposent. Il s’agit non seulement de les maintenir en bon état, mais de les transformer pour qu’ils accommodent à satisfaction de nouveaux modèles éducatifs et pédagogiques, ainsi que des modes de vie et valeurs en évolution.
Le consortium de chercheurs de Schola a amorcé la première phase de ses travaux en ciblant les écoles primaires. À l’origine, la plupart de ces bâtiments scolaires n’avaient ni maternelles ni locaux dédiés à l’activité physique, au soutien éducatif ou aux services de garde (on est bien loin des réflexions en cours sur les classes flexibles ou les laboratoires numériques !). Le chantier national de rénovation des écoles qui a cours présentement constitue une opportunité unique de les adapter aux besoins d’aujourd’hui et de demain.
L’importance de connaître et de comprendre avant de rénover
Le développement de tels outils d’aide à la décision ne peut se faire sans la précieuse collaboration des commissions scolaires. Au total, 58 d’entre elles ont contribué à une imposante collecte de plans d’écoles et autorisé les chercheurs à solliciter la direction de ces écoles pour inviter leurs employés à participer à une grande enquête.
Un premier prérequis pour bien rénover les écoles primaires consiste à identifier les difficultés et potentialités de bâtiments construits à différents moments de l’histoire pour accommoder de nouvelles réalités et de nouveaux besoins. Entre mars et octobre 2018, les services de ressources matérielles de ces commissions scolaires ont transmis les dessins techniques (plans, coupes, élévations d’origine, de rénovation ou d’agrandissement) ainsi que des photographies d’un échantillon de 310 bâtiments hébergeant des écoles primaires, sélectionné aléatoirement à l’échelle provinciale. L’échantillon est représentatif de la distribution des écoles primaires dans les régions administratives du Québec, mais aussi selon les années de construction et les indices de défavorisation socioéconomique. Chaque commission scolaire est représentée par 1 à 24 bâtiments dans le respect de la taille de leur parc immobilier. Les plans d’architecture de ces bâtiments ont été saisis sur la plateforme de gestion immobilière ©Archidata, partenaire industriel Schola. Les documents d’archives permettent de comprendre les caractéristiques d’origine du bâtiment et celles héritées de ses différentes périodes de transformation et cela, en termes de construction, de localisation et de dimensionnement des locaux. Ils permettent de mieux saisir les enjeux de rénovation issus de l’inertie des murs existants. Les plans actuels des écoles sont en cours d’analyse pour recenser les fonctions scolaires dans les écoles, la localisation de ces dernières, ainsi que la superficie de plancher accordée à chacune d’elles. Ces données seront croisées avec les effectifs scolaires
actuels dans le but de définir des normes architecturales adaptées à la rénovation des écoles.
Un deuxième prérequis est de comprendre la réalité quotidienne des équipes-écoles travaillant dans les écoles primaires. L’enquête web Renseignez-nous ! a été conçue à cet effet. Entre le 31 mai et le 20 juin 2018, les employés des 310 écoles échantillonnées ont été invités, via leur direction, à répondre à près d’une centaine de questions abordant tour à tour leur profil d’emploi, celui de leurs élèves (le cas échant), le mobilier et la qualité de la lumière, de la ventilation et de l’acoustique dans leur principal lieu de travail, leurs tâches et leurs usages quotidiens du bâtiment, ainsi que leur perception et appréciation de leur milieu de travail. Le questionnaire était adapté aux types d’employés : enseignant titulaire, enseignant spécialisé, services de garde, soutien aux élèves, entretien, administration et direction. Au final, 1 036 employés
de 195 écoles et de 53 commissions scolaires ont participé à l’enquête malgré la période particulièrement achalandée de l’année. Des analyses statistiques sont en cours. Les résultats permettront d’établir des profils d’usagers et de croiser l’aménagement, les usages et les évaluations des locaux avec les plans des écoles saisis sur la plateforme ©Archidata.
Outre ces données quantitatives, un inventaire du mobilier, des observations in situ et des entrevues qualitatives ont été réalisés dans 19 écoles de l’échantillon de six commissions scolaires entre mai et octobre 2018. L’inventaire exhaustif du mobilier, réalisé à l’intérieur de 66 classes, a donné lieu à près de 2 000 fiches descriptives spécifiant forme, dimensions, matériaux, finis, couleurs et degré d’usure des différentes pièces de mobilier et d’affichage. Les chercheurs ont également relevé la disposition du mobilier et les types d’espaces offerts dans les classes. Les observations in situ réalisées à l’intérieur de 19 classes des 19 écoles ont quant à elles permis d’obtenir un portrait plus précis des interactions entre les élèves, leur enseignant et le mobilier, d’examiner leur posture et la manière dont ils utilisent l’espace. En parallèle, des entrevues avec l’enseignant titulaire et un élève de chaque classe ont été menées pour connaître leur perception, leur appréciation du lieu et des objets qui le composent ainsi que l’usage qu’ils en font. Une quinzaine d’entrevues additionnelles ont été conduites auprès de directeurs, de responsables de l’entretien et de responsables de services de garde pour connaître leur implication dans la définition des besoins de mobilier scolaire, les achats, la gestion et l’entretien. Les enjeux relatifs aux bris, aux réparations et à la sécurité du mobilier ont également été abordés. Enfin, quatre entrevues de groupe avec des équipes travaillant au sein des
services de ressources matérielles de quatre commissions scolaires ont permis de comprendre le processus d’acquisition et de gestion du mobilier scolaire et les normes en vigueur. En complément aux données de l’enquête Renseignez-nous !, ces données qualitatives permettront de mieux saisir les qualités essentielles à viser pour les classes lors de la rénovation pour accommoder les usages qui en sont faits et la variété des pédagogies.
Les commissions scolaires, les directions d’écoles et les équipes scolaires, des acteurs essentiels
Les chercheurs ont dorénavant en main une riche base de données sur les écoles primaires du Québec, composée de données à la fois qualitatives et quantitatives, spatiales et comportementales dont la collecte n’aurait pu être possible sans l’importante mobilisation des commissions scolaires. Les résultats des analyses permettront de saisir la réalité du parc scolaire québécois et de la vie quotidienne dans ces milieux, réalité que nous connaissions encore très peu. Croisés avec des données probantes issues de la littérature scientifique sur l’influence du cadre bâti sur le bien-être et la réussite éducative, ils nourriront l’élaboration des outils d’aide à la décision pour orienter la rénovation des écoles vers des solutions immobilières et mobilières « gagnantes ».
Sans ces connaissances, l’élaboration de tels outils serait une entreprise risquée, voire dangereuse. Si la rénovation des écoles est incontournable pour maintenir la valeur de ce parc immobilier, la question de « comment faire mieux? » est cruciale. Un chantier d’une telle ampleur ne se reproduira que dans 50 ans. Se donner
quelques années pour penser l’avenir avec les acteurs du milieu est un geste responsable. •