Accompagner et soutenir la diversité de genre chez les enfants – Y’a-t-il un rôle pour les écoles du Québec?
Annie Pullen Sansfaçon
Professeure agrégée
École de travail social, Université de Montréal
Tout d’abord, prenons l’exemple d’un enfant de 7 ans qui s’identifie comme un garçon de manière persistante bien que son code permanent et les documents officiels de l’école indiquent une mention de sexe différente. Ce décalage entre son identité de genre et son identité civile lui pèse lourd. La pression sociale qu’il subit l’amène à se questionner de plus en plus : doit-il se conformer aux attentes sociales rattachées au sexe qui lui a été assigné à la naissance ou vivre sa réelle identité? Ce jeune pourrait être confronté à plusieurs difficultés : expériences d’anxiété, d’isolement social, de rejet et d’exclusion et même quelques idéations suicidaires.
Cette histoire, bien que fictive, résonne avec celle de plusieurs autres jeunes. Elle se retrouve aussi au cœur d’un court dessin animé éducatif[MF1] , accompagné d’un livret électronique[ref]Pour obtenir gratuitement une copie du livret électronique et le lien vidéo, vous pouvez écrire à l’adresse [email protected][/ref] offert gratuitement par l’Organisme Enfants transgenres Canada afin de présenter une réalité encore méconnue au Québec, celle des enfants transgenres.
Ces jeunes, qui seraient assez nombreux, représenteraient environ 0,7% de la population des jeunes âgés de 13 à 17 aux États Unis[ref]William Institute (2017) New Estimates Show that 150,000 Youth Ages 13 to 17 Identify as Transgender in the US https://williamsinstitute.law.ucla.edu/research/transgender-issues/new-estimates-show-that-150000-youth-ages-13-to-17-identify-as-transgender-in-the-us/[/ref]. En Nouvelle-Zélande, la recherche de Clark et al (2014) sur la santé des jeunes estime pour sa part qu’il y aurait 1.2% des jeunes qui s’identifient trans, et 2.5% qui seraient en « questionnement ». Ainsi, même s’il n’existe pas de recherche semblable pour le Québec, ces statistiques nous indiquent tout de même que cette réalité est plus fréquente que nous pouvons parfois croire, et qu’ultimement, plusieurs jeunes trans fréquentent actuellement les écoles du Québec.
Suivre le rythme de l’enfant
Comment soutenir le développement de ces enfants et leur plein épanouissement en milieu scolaire? Les intervenants près des jeunes trans réalisent que même si certains thèmes reviennent d’une histoire à l’autre, chaque jeune a son propre parcours. Par conséquent, les réponses à leurs besoins doivent être adaptées selon la situation particulière vécue par chacun. S’identifier autrement qu’au sexe assigné à la naissance est une caractéristique intrinsèque d’un élève à laquelle des réponses adaptées aux besoins particuliers que cette réalité peut engendrer sont nécessaires. Au même titre que l’homosexualité, qui a longtemps été considérée à tort comme une maladie mentale pouvant être traitée, la variance de l’identité de genre n’est désormais plus considérée comme telle. Pour aider le jeune à s’épanouir, il est primordial de le laisser définir sa propre identité.
D’ailleurs, un nombre grandissant d’organismes professionnels considère ce comportement comme non-éthique et comme une forme d’abus de pouvoir[ref]Voir par exemple l’Association Canadienne des travailleurs sociaux, (https://casw-acts.ca/fr/d%C3%A9claration-concernant-l%E2%80%99affirmation-des-enfants-et-des-jeunes-transgenres) ou encore l’American Psychological Association (APA) (http://www.apa.org/practice/guidelines/transgender.pdf)[/ref] à un point tel que le gouvernement ontarien a rendu cette pratique illégale l’an dernier.
Les connaissances sur le sujet, et les témoignages de personnes elles-mêmes montrent de plus en plus clairement que la plupart des difficultés vécues par les jeunes trans ne sont pas causées par l’identité de genre, mais plutôt par les nombreuses expériences de stigmatisation sociale, de rejet et de dénis d’identité. Ce sont ces dernières qui mènent souvent aux difficultés vécues sur le plan de la santé mentale (dépression, anxiété, idéations suicidaires, automutilation), et non pas l’identité elle-même. Le respect de l’identité de genre et le soutien du jeune dans ce qu’il ou elle est constituent de plus en plus deux des aspects considérés comme faisant partie des pratiques les plus prometteuses[ref]Voir par exemple les travaux de Olson et al., 2015, 2016 et de Tishelman et al., 2015[/ref].
Sachant qu’un grand nombre de difficultés vécues par les jeunes trans sont surtout reliées au domaine familial (rejet, abus, violence), social (stigma, discrimination, violence) structurel (déni de l’identité au sein des services, refus de service, violence systémique), les écoles du Québec ont un rôle important à jouer dans l’amélioration du bien-être des jeunes trans adaptant leurs pratiques aux besoins de la diversité de genre. D’autant plus que l’attitude de la direction, le rôle du personnel enseignant, le fait que le personnel enseignant parle de l’identité et de l’expression de genre en classe et le rôle des intervenants[ref]CHAMBERLAND, Line, Natalie DUCHESNE et Alexandre BARIL (2010). « Les expériences des étudiantes et étudiants transsexuels, transsexuelles et transgenres en milieu scolaire », dans CHAMBERLAND, Line, et autres, Impact de l’homophobie et de la violence homophobe sur la persévérance et la réussite scolaires, Montréal, Université du Québec à Montréal, Annexe N. Également disponible en ligne : chairehomophobie.uqam.ca/upload/files/La_transphobie_en_milieu_scolaire_au_Qu%C3%A9bec.pdf[/ref] sont identifiés comme des facteurs pouvant influencer positivement la façon dont le jeune vivra son affirmation ou sa transition.
Des gestes simples peuvent faire toute la différence dans la vie de ces jeunes :
- Utiliser le prénom choisi et les pronoms correspondants (féminins, masculins ou neutres) par le jeune trans ou le jeune non binaire;
- Permettre au jeune trans ou au jeune non binaire d’utiliser les toilettes, les vestiaires et les résidences dans lesquels il se sent le plus à l’aise, et ce, quel que soit le sexe qui lui a été assigné à la naissance;
- Réduire, si possible, les activités où l’on sépare les élèves selon le genre;
- Adapter le code de vie afin qu’il tienne compte de façon explicite des besoins des jeunes trans et des jeunes non binaires, notamment au niveau des règles vestimentaires et d’assiduité;
- Mettre en place des mesures visant à protéger la confidentialité des informations concernant le jeune trans ou le jeune non binaire.
La Table nationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie des réseaux de l’éducation a produit un guide d’accompagnement duquel sont extraits ces quelques exemples de gestes à poser dans les établissements scolaires. Ce guide répond directement à plusieurs questions que pourraient se poser le milieu scolaire dans la mise en place de mesures d’accompagnement pour les jeunes trans[ref]Ce guide peut être consulté à l’adresse suivante : http://chaireho-mophobie.uqam.ca/partage-des-savoirs/outils-disponibles-2-1/451-guide-pour-les-etablissements-d-enseignement-mesures-d-ouverture-et-de-soutien-envers-les-jeunes-trans-et-les-jeunes-non-binaires.html[/ref] et détaille davantage la réalité vécue par ces jeunes.
Finalement, il importe de se rappeler que la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et de la jeunesse fut modifiée, en juin 2016, grâce à l’adoption à l’unanimité du projet de loi n°103 « Loi visant à renforcer la lutte contre la transphobie et à améliorer notamment la situation des mineurs transgenres ». Ainsi, « l’identité de genre » et « l’expression de genre » sont maintenant identifiés comme des motifs explicites de discrimination interdits par la loi au même titre que la race ou la couleur de la peau, l’état civil, ou le handicap. Ainsi, en mettant en place les mesures d’ouverture envers les personnes trans ou non binaires, les écoles travaillent de manière proactive à s’assurer respecter leurs droits fondamentaux et garantissent le respect de leur intégrité, leur sécurité et leur liberté d’exprimer leur réelle identité de genre[ref]http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/showdoc/cs/C-12[/ref].
La mise en place de mesures d’ouverture et de soutien envers les jeunes trans et les jeunes non binaires s’inscrit directement dans les objectifs poursuivis par le Plan d’action concerté pour prévenir et contrer l’intimidation 2015-2018 du gouvernement du Québec et soutient les milieux dans leur obligation prévue à la Loi sur l’instruction publique d’adopter et mettre en place des plans de lutte contre l’intimidation et la violence. Ces mesures permettent à offrir aux jeunes trans et non binaires un milieu sain et sécuritaire et contribuent ainsi à leur plein épanouissement et ultimement à leur réussite éducative.
Quelques définitions extraites du Mesures d’ouverture et de soutien envers les jeunes trans et les jeunes non binaires – Guide pour les établissements d’enseignement de la Table nationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie des réseaux de l’éducation
- Expression de genre – C’est l’apparence de ce que la société qualifie de féminin ou de masculin, sans égard à l’identité de genre de la personne (vêtements, coiffure, maquillage, comportement, langage corporel, voix, etc.). Toutes les personnes, peu importe leur identité de genre, démontrent une expression de genre et peuvent l’exprimer de différentes façons qui ne sont pas nécessairement indicatives de leur identité.
- Identité de genre – Expérience personnelle, sentiment profond et intime du genre d’une personne. Le genre est un continuum largement compris comme ayant deux pôles, soit masculin et féminin, mais toutes les nuances entre ces deux pôles sont possibles, personnelles et légitimes. L’identité de genre d’une personne peut être différente du sexe qui lui a été assigné à la naissance. Puisque l’identité de genre est une expérience intime, seule la personne peut affirmer son identité et, selon la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, c’est un droit fondamental dont toute personne peut se prévaloir.
- Non binaire – Personne dont le genre sort de la binarité homme-femme (voir définition de l’identité de genre).
- Mention du sexe – Référence au genre d’une personne dans un document en fonction de ce qui est indiqué dans l’acte de naissance. Dans les faits, cette mention peut correspondre ou non à l’identité de genre de la personne. Il est possible de faire une demande de changement de mention du sexe auprès du Directeur de l’état civil afin que cette mention corresponde à son identité de genre. La mention du sexe classifie les personnes dans la catégorie des hommes ou celle des femmes.
- Sexe assigné à la naissance – Classification d’une personne comme femme ou homme en fonction de l’observation des caractéristiques anatomiques visibles que sont l’apparence et la structure des organes génitaux externes. Le sexe assigné à la naissance détermine la mention de sexe indiquée sur l’acte de naissance du bébé.