Les compétences futures recherchées
Matthieu Josselin
Doctorant en cotutelle
Sciences du langage,
Université de Nantes
Sciences de l’éducation,
UQTR/UQAM
Chercheur associé, UQAM, Observatoire compétences-emplois
Yves Chochard
Professeur, UQAM,
Observatoire compétences-emplois
Les travaux de l’Institute for the Future
La dernière décennie a vu apparaître de nouveaux référentiels de compétences du 21e siècle. Ceux-ci listent les compétences clés ou essentielles qui seront demandées sur le marché du travail dans les prochaines années (Ouellet et Hart, 2013). Dans cet article, nous présentons le référentiel de l’Institute for the Future (IFTF, http://www.iftf.org/home/), un groupe de recherche indépendant localisé à Palo Alto, en Californie. Depuis plus de 40 ans, cet institut identifie les tendances émergentes qui transformeront la société et le marché du travail. Le référentiel de l’IFTF décrit six changements moteurs, c’est-à-dire six grandes perturbations susceptibles de modifier la nature et le contenu du travail (IFTF, 2011, p. 3-5). Le déploiement de ces changements pousse le développement de onze compétences chez les travailleurs de demain (IFTF, 2016). Ces compétences ne sont pas nouvelles, mais seront de plus en plus recherchées dans un futur proche. Après une brève présentation des changements moteurs, nous décrivons les compétences discutées lors de l’atelier du Congrès 2017 de la FCSQ.
Les changements moteurs
Les changements moteurs sont les bouleversements en voie de redessiner le paysage social et technologique. Si chaque changement est important en soi pour comprendre le futur, c’est la convergence de plusieurs d’entre eux qui entraînera un besoin en compétences nouvelles.
La longévité extrême
D’ici à 2025, le nombre d’Américains de 60 ans et plus augmentera de 70 %. La montée des approches holistiques permet des habitudes de vie de plus en plus saines ainsi qu’un allongement sain et réaliste de la durée de vie. Le vieillissement de la population aura un impact sur les familles, les carrières et l’éducation dans la mesure où les personnes seront amenées à changer de carrière ou à reprendre des études à tout âge.
La nouvelle écologie des médias
L’évolution des moyens de communication a provoqué le développement d’un nouveau langage : celui de la production vidéo, de l’animation numérique, de l’édition de média, de la réalité augmentée et des jeux vidéo. Le texte se voit progressivement remplacé par la vidéo et l’animation. Grâce à elles, l’intégration des réseaux virtuels (Facebook, WhatsApp, Instagram, Twitter, etc.) dans les différents aspects de notre quotidien se fait de manière de plus en plus homogène. Chaque individu doit aussi apprendre à gérer son identité numérique afin d’établir sa crédibilité ou d’entretenir sa légitimité. Enfin, la diversité des formes de médias multiplie les perspectives sur un même évènement et bouleverse notre rapport à la réalité et à la vérité.
La montée des machines et des systèmes intelligents
Progressivement, les machines remplacent l’humain dans tous les aspects de la vie, que ce soit dans les secteurs de la production, de la médecine, du combat, de la sécurité ou de l’éducation. Les lieux de travail s’automatisent, délestant l’humain des tâches répétitives. Ces changements sont déjà visibles avec le remplacement d’emplois routiniers par des machines, comme ceux des caissiers dans les supermarchés ou des opérateurs de chaînes de montage dans les usines. Ces évolutions scientifiques propulsent les standards de performance et diminuent le temps de production tout en augmentant la précision.
La connexion planétaire
L’augmentation de l’interconnectivité globale place l’adaptabilité et la diversité au centre des opérations organisationnelles. Les grandes puissances occidentales partagent le monopole de la création d’emplois, de l’innovation et du pouvoir politique avec les nouvelles puissances de l’Extrême-Orient, notamment dans le secteur de l’informatique. Le recours aux expertises orientales requiert de pouvoir collaborer avec des profils culturels différents et de savoir les intégrer dans les organisations occidentales.
Le monde informatisé
En plus d’une augmentation de la connectivité, l’informatisation croissante des objets du quotidien rend possible la conversion de tout évènement en données. Le nombre de renseignements sur des phénomènes à petite et grande échelle est décuplé et permet une compréhension sans précédent de processus auparavant invisibles. Ce tournant nécessite une capacité accrue de modélisation des données : il faut pouvoir les manipuler et les analyser afin de prendre des décisions en conséquence.
Les organisations superstructurées
Avec les nouvelles technologies et médias sociaux, les organisations traditionnelles sont amenées à devoir se réorganiser en révisant la manière dont elles produisent de la valeur. Par exemple, l’interconnectivité donne accès, à grande échelle, à de nouveaux moyens de production et à des ressources humaines hautement spécialisées. Elle facilite l’association de nombreux collaborateurs d’horizons différents pour résoudre des problèmes autrement difficiles à régler sans cette diversité de profils et d’expertises.
Les compétences futures discutées lors du congrès
D’après les recherches de l’IFTF (2011, 2016), la combinaison des six changements moteurs appelle au développement de onze compétences du futur. Nous retraçons ici les compétences les plus discutées lors du Congrès 2017 de la FCSQ.
L’intelligence sociale
L’intelligence sociale, c’est la capacité de se connecter aux autres d’une manière profonde et directe, de percevoir des réactions et d’encourager des interactions désirées. Un employé socialement intelligent est capable d’estimer rapidement les émotions de son entourage et d’adapter son vocabulaire, son ton et sa gestuelle en conséquence. Même si les machines capables d’interagir sont de plus en plus sophistiquées, la robotisation n’a pas encore atteint le niveau de sensibilité et d’émotion des humains. Avec l’augmentation du travail indépendant et la multiplication des candidats compétents, le manque d’intelligence sociale paraît de moins en moins tolérable. L’intelligence sociale est d’ailleurs déjà évaluée en ligne (Airbnb, Google Maps, Uber, etc.), ce qui pourrait entraîner le risque d’une nouvelle forme de stigmatisation.
La résilience
La résilience se définit comme la capacité à surmonter tous contretemps, défis, obstacles. Les individus hautement résilients entretiennent davantage d’émotions positives, peuvent s’épanouir face à des crises, sont plus flexibles face au changement, plus stables dans des situations exigeantes et ont moins peur du risque. Pour un gestionnaire, favoriser la résilience au sein de son équipe passe par l’augmentation de la force mentale, par la mise en évidence des capacités individuelles, ainsi que par l’entretien de relations solides.
La transdisciplinarité
Alors que l’interdisciplinarité s’établit dans le travail conjoint de personnes de différentes disciplines, la transdisciplinarité va plus loin. Définie comme la capacité à lire et à comprendre des concepts dans plusieurs disciplines, elle permet d’appréhender des problèmes trop complexes pour être résolus au moyen d’une seule discipline scientifique. À titre d’exemple, une personne transdisciplinaire gérera l’urgence liée à une inondation en croisant ses connaissances sur les comportements sociaux en situation de crise et ses connaissances en urbanisme et en génie. Dans un contexte où un individu occupera entre 10 et 15 emplois durant sa carrière, il devra veiller à cultiver sa transdisciplinarité tout au long de la vie.
La littératie des nouveaux médias
Cette compétence correspond à la capacité de développer et d’évaluer le contenu publié dans de nouveaux médias (p. ex. SMS, Facebook, Twitter et Wikipédia) ainsi que de les utiliser pour communiquer de manière convaincante. Sur le plan professionnel, choisir le mauvais média pour communiquer une information ou une idée peut être infructueux, voire néfaste. Heureusement, de nouvelles applications (p. ex. PowToon ou GoAnimate) offrent des formats plus dynamiques que le traditionnel PowerPoint, ce qui permet de vulgariser le message et de rendre un contenu complexe plus accessible.
La collaboration virtuelle
Cette compétence se définit comme la capacité de travailler à distance au sein d’une équipe virtuelle, de manière productive, en démontrant sa présence aux autres membres de l’équipe et en suscitant leur engagement. Cette collaboration peut s’établir de manière synchrone, au moyen de logiciels d’appel vidéo ou de messagerie instantanée (p. ex. Skype, Via ou FaceTime), ou de manière asynchrone, au moyen de courriels et de logiciels bureautiques en ligne (p. ex. Google Docs). La collaboration virtuelle offre plusieurs avantages. Elle permet une meilleure conciliation travail-vie privée et une réduction du temps de déplacement. En ralentissant le rythme des échanges, elle laisse aussi plus de temps aux membres de l’équipe pour penser, nuancer et formuler attentivement un propos. Toutefois, le défi de la collaboration virtuelle est la création d’une ambiance sociale au sein du groupe, plus difficile à établir sans un espace physique de travail en commun.
Développer les compétences du futur
En conclusion, les travaux de l’Institute for the Future nous rappellent l’importance de cultiver notre adaptabilité. Nous possédons tous déjà certaines compétences du futur, alors que nous devons en développer d’autres. Comme le dit William Gibson (1999), « le futur est déjà là, il n’est juste pas réparti de façon très homogène »1. Les référentiels du 21e siècle nous encouragent, en tant qu’individus ou institutions, à continuellement réévaluer les compétences nécessaires à notre évolution. L’apprentissage n’est plus alors un moyen d’accéder à un emploi, mais une démarche continue à entretenir tout au long de la vie.
Références
IFTF (2016). Future Skills. Update and Literature Review. Palo Alto: Institute for the Future for Act Foundation and The Joyce Foundation. http://www.iftf.org/futureskills/
IFTF (2011). Future Work Skills 2020. Palo Alto: Institute for the Future for University of Phoenix Research Institute. http://www.iftf.org/futureworkskills/
Ouellet, D. et Hart, S.-H. (2013). Les compétences du 21e siècle. Bulletin de l’Observatoire compétencesemplois, 4(4). http://www.oce.uqam.ca/article/les-competences-quifont-consensus/
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1 Traduction libre, tirée de https://medium.com/not-evenlydistributed/the-future-has-arrived-fed56cec3266, consulté le 8 juin 2017.