Architecture : la part de l’environnement bâti dans l’expérience et l’apprentissage
François Dufaux
Architecte et professeur agrégé, École de l’Architecture de l’Université Laval
– Crédit photo : Simon Douville
Infrastructure et expérience d’apprentissage
Depuis une dizaine d’années, l’état des bâtiments scolaires redevient un enjeu concret, ici comme à l’étranger. Cela découle au Québec d’un ensemble de conditions historiques : majorité de constructions antérieures à 1970, cycles de vie limités des bâtiments arrivés à échéance, entretien souvent minimum ou rénovations mal avisées au cours des dernières décennies. Devant cette détérioration, le Conseil du trésor du Québec s’engage à réinvestir dans ce parc immobilier pour maintenir les actifs de l’État.
Voilà quelques-unes des conditions légales et financières sous-jacentes annonçant un vaste chantier de centaines de projets d’architecture. Chaque projet devra tant répondre à des objectifs communs que trouver une pertinence et une justesse dans le contexte de chaque école. C’est alors que se posent quatre questions fondamentales :
- Comment comprendre l’incidence de l’environnement scolaire sur l’apprentissage et l’expérience de ses occupants, soit le corps enseignant, ses visiteurs, les élèves et leurs parents ?
- Comment mesurer cette incidence dans le parc immobilier actuel pour définir ce qu’il faut préserver et ce qui devrait être corrigé ?
- Comment intervenir et sur quels plans pour offrir un environnement plus adapté aux fonctions nouvelles et traditionnelles de l’école dans sa communauté ?
- Quelle place accordons-nous à une architecture publique; scolaire et communautaire ?
En effet, avec les services de garde, les activités de loisir et de rendez-vous communautaire, l’élargissement du mandat des écoles suggère qu’elles jouent déjà aujourd’hui un rôle renouvelé dans leur milieu. Penser l’architecture de nos écoles, c’est aussi matérialiser dans l’espace les valeurs collectives que nous voulons témoigner aux usagers et transmettre aux nouvelles générations.1
Structures et infrastructures : quelle place pour l’architecture scolaire ?
L’architecture scolaire constitue l’angle mort du projet éducatif au Québec. Cela ne veut pas dire que l’enjeu n’est pas reconnu, mais il reste en arrière-plan, souvent mal défini et appréhendé dans un rétroviseur qui en déforme les caractéristiques. Retracer la source de ce flou est difficile parce qu’il relève d’une suite de débats historiques où les enjeux structurels – soit comment organiser l’école publique comme projet collectif ? – ont souvent monopolisé l’attention au détriment de l’environnement scolaire – soit quelle architecture pour soutenir notre projet pédagogique ?
En premier lieu, le ministère de l’Éducation traite de la construction dans Direction des infrastructures scolaires. La définition renvoie certes à un « Ensemble d’installations, d’équipements nécessaires à une collectivité », mais l’école est-elle une route pour permettre de traverser la période d’apprentissage ou aussi un lieu à vivre et à habiter ?
Un graphe de la construction des écoles primaires illustre un long processus historique. La période la plus active se concentre entre 1948 et 1967, soit avant la création du ministère de l’Éducation en 1964. À cette époque, et jusqu’à la fin des années 1970, ces efforts étaient concentrés sur les écoles secondaires, les polyvalentes. L’architecture scolaire est devenue un enjeu accessoire après 1980, face aux questions de pédagogie et de clientèles scolaires. Une comparaison entre les écoles à Québec et à Montréal montre aussi une distribution différente dans les époques de construction. Environ un tiers des écoles de Montréal ont été construites avant 1940, comparativement à moins de 7 % à Québec. Cela se traduit par des architectures différentes dans les plans, l’organisation de l’espace et la manière de construire.
Illustration 1. Écoles primaires La grande vague de construction des écoles primaires au Québec précède la création du ministère de l’Éducation
Le Rapport Parent, publié en 1963, est la pierre angulaire de l’école moderne au Québec. Ici encore, l’architecture est un sujet marginalisé, notamment face aux questions des structures administratives. Dans un rapport en trois tomes composant cinq volumes, seul le chapitre XXXIII, « Caractère pédagogique des constructions scolaires » décrit en 15 pages les attentes entre fonction et architecture. Cela représente 1 % des 1553 pages du célèbre Rapport. Si quelques recommandations sont effectivement réalisées avec la construction des gymnases, on découvre que d’autres objectifs, comme la construction de réfectoires et de cuisines, sont restés un souhait pour les écoles primaires.
Caractériser l’architecture scolaire : l’expérience comme réponse au cadre normatif
Le parc immobilier des écoles du Québec est largement inspiré d’un ensemble de modèles, souvent importés, et déterminé par des cadres normatif, historique et moderne dont nous ignorons les caractéristiques architecturales. Ce parc est varié parce qu’il reflète différentes périodes historiques de construction, d’agrandissement et de transformation, mais aussi parce qu’il découle d’un projet scolaire tardivement unifié. Les distinctions de religion, de langue et de classe sociale expliquent un système scolaire décentralisé entre protestantisme et catholicisme, sections française et anglaise, et système public et privé pour les aspirations des classes populaires et supérieures.
L’importance de comprendre les caractéristiques architecturales répond à deux objectifs. En premier lieu, la qualité des interventions envisagées pour la remise en état du parc immobilier scolaire dépendra largement que la connaissance que nous en aurons. Cet effort de connaissance et de planification est d’autant plus nécessaire que les ressources financières sont limitées.
En second lieu, devant le cadre normatif contemporain, le travail de caractérisation est l’occasion d’observer l’application et l’effet de ces normes sur l’environnement scolaire et l’apprentissage. Il s’agit de monter une connaissance factuelle des conséquences de l’architecture sur l’enseignement et l’apprentissage à partir de leur recension objective, quantitative et qualitative. Cette recherche de données probantes est essentielle afin de discuter et réviser le cadre normatif actuel. Elle est aussi nécessaire pour développer une position critique quant aux expériences sur le terrain, au Québec comme à l’étranger.
La caractérisation proposée envisage de distinguer quatre grandes échelles : le territoire, le contexte urbain, le bâtiment et l’espace intérieur. La distribution des écoles à l’échelle du territoire illustre la nature de la décentralisation des établissements. Elle témoigne de l’accès à l’éducation et des logiques administratives. L’échelle urbaine nous informe sur la position relative, l’accessibilité et la centralité du site scolaire dans sa communauté. L’échelle du bâtiment permet de comprendre la relation entre l’espace public de la rue, la cour d’école et les choix architecturaux qui organisent l’école. L’échelle de l’espace intérieur permet de traiter de l’aménagement des locaux et des corridors.
À ces quatre échelles, nous distinguons quatre grands enjeux de conception qui définissent le projet d’architecture. Le cadre légal et financier pose les conditions sous-jacentes en matière de normes et d’investissement. La composition architecturale nous informe sur l’organisation des plans d’étages et des élévations (façades) qui nous racontent les ambitions stylistiques associées à l’école. La configuration traite de la manière dont les fonctions sont réparties, mais aussi des relations entre elles, établissant « la logique sociale de l’espace scolaire ». Enfin, la construction nous éclaire sur les choix matériels traduits par la structure, l’assemblage des matériaux de l’enveloppe et la qualité des ambiances intérieures selon l’éclairage et la ventilation.
Le croisement des enjeux d’échelle et de conception permet de préciser les choix qui se posent dans la conception du projet d’architecture. Dans le contexte où la rénovation du parc immobilier sera le mandat le plus courant, une telle analyse permet de mieux isoler la nature des interventions et de mettre en relation leur incidence sur les autres échelles et enjeux de conception. Un bon projet tient à un subtil équilibre entre ces questions de design : un processus de choix qui répond aux objectifs en ménageant une cohérence d’efforts sur les divers aspects. Une école durable, comme l’a remarqué l’organisation Vivre en Ville, n’est pas seulement un bâtiment écologique, mais aussi un projet urbain qui favorise des déplacements actifs et un développement conséquent.2
– Le 13 juin dernier, le ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Sébastien Proulx, a annoncé l’attribution d’une subvention de 2,54 millions de dollars sur cinq ans à l’école d’architecture de l’Université Laval dans le but de soutenir l’innovation en architecture scolaire. Dirigé par la professeure Carole Després, Ph. D., ce projet permettra de faire le pont entre la recherche universitaire en matière d’infrastruc-tures scolaires et la gestion des projets de construction, d’agrandissement et de rénovation des écoles par les commissions scolaires. –
Mesurer l’incidence de l’architecture : hypothèses et références
La rénovation des écoles est un chantier international. Après 1945, l’ensemble des pays occidentaux a connu une forte croissance démographique entraînant la construction d’écoles primaires entre 1946 et 1970, puis d’autres établissements avec la démocratisation de l’éducation secondaire, collégiale et universitaire dans la deuxième moitié du XXe siècle. Le cycle de vie moyen des bâtiments étant de 40 ans, ces pays confrontent des enjeux comparables de rénovation et de mise à jour. Ce mouvement est en voie de documenter l’analyse de l’architecture scolaire, la nature des interventions, l’organisation des processus pour organiser les projets et les incidences de ces nouvelles politiques nationales.3
Une étude anglaise a exploré l’effet de l’architecture scolaire sur l’apprentissage des enfants4. La principale conclusion, fondée sur un échantillon de 3766 élèves et une vingtaine d’écoles, révèle que des caractéristiques physiques améliorent jusqu’à 16 %, le progrès
dans l’apprentissage des enfants. Une partie de ces caractéristiques concerne la lumière naturelle, la qualité de l’air et de la température sous la responsabilité de l’enseignant, et le contrôle du bruit. Le lien avec la nature apparaît comme un facteur secondaire.
Sur le plan de l’aménagement, l’étude rapporte l’importance d’offrir une certaine flexibilité dans l’espace de la classe de manière à disposer des zones communes, des alcôves et la possibilité pour les enfants de s’approprier le lieu avec leurs objets et contributions. Au niveau primaire, l’appropriation de l’ensemble de l’école est marginale puisque les enfants restent principalement dans la même classe. Celle-ci doit donc être simple d’aménagement concernant le mobilier, la couleur et la décoration. L’important est d’avoir du rangement pour garder un certain ordre, ce qui favorise la concentration.
Ces premières observations évoquent combien rêver l’école de demain demande de connaître les pratiques d’aménagement pour mieux les comprendre, les mesurer et les ajuster ou les revoir.
L’on évoque parfois que nos écoles pourraient offrir une cour intérieure propre à construire un lieu de rassemblement. Rappelons-nous alors que les premiers collèges de Québec (le Séminaire, les Jésuites et les Ursulines) concevaient une cour au centre de la vie scolaire. Lorsque nous regardons l’architecture des écoles, dans la forme et l’implantation, et qu’elle s’apparente à un bâtiment public ou à une usine, il faut nous demander si nous cherchons à former des citoyens ou des ouvriers. Les écoles sont à la fois des lieux d’apprentissages scolaires et d’activités des services de garde et de loisir. Ces bâtiments, conçus initialement pour un usage de 40 heures par semaine pour neuf mois, sont désormais utilisés à longueur d’année, souvent pour un horaire doublé. Quelle doit être l’architecture publique d’un lieu qui rassemble une communauté et témoigne de ses valeurs et de ses ambitions ? Rêver l’école demande de nous reconnaître pour savoir comment aller plus loin.
Illustration 2.
Rénovation et agrandissement de l’École Barclay – Ce projet illustre combien le patrimoine scolaire peut être transformé et adapté aux nouveaux besoins. Commission scolaire de Montréal. NFOE architectes. Charles Lanteigne, photographe
1- L’école d’architecture de l’Université Laval poursuit, depuis 2010, un travail de recherche, d’analyse et de création sur divers enjeux architecturaux propres au milieu scolaire. Madame Carole Després aborde les questions de programmes, dont celles posées par les services de garde. Messieurs Claude H. Demers et André Potvin se penchent sur l’incidence de divers enjeux environnementaux, dont les ambiances intérieures (lumière et qualité de l’air, emploi du bois sur les plans structural et des finitions). François Dufaux s’intéresse à mieux définir les caractéristiques du patrimoine scolaire pour mieux comprendre la nature des choix architecturaux effectués jusqu’à maintenant.
2-https://www.facebook.com/vivreenville/posts/1320964127959042
3- Carole Després, professeure en années d’études et de recherche, participait en mai 2017 à une conférence de l’OCDE sur la rénovation des écoles en Italie.
4- https://www.salford.ac.uk/cleverclassrooms/1503-Salford-Uni-Report-DIGITAL.pdf