Le programme La culture à l’école, appui important à l’apprentissage de la lecture
Marc Sauvageau – Crédit photo : Daniel Villeneuve
La culture à l’école a transformé l’écrivaine jeunesse Dominique Demers en véritable star chez les élèves du primaire et du secondaire. « J’ai l’impression qu’on déroule un tapis rouge ! C’est presque gênant », avoue-t-elle. « Souvent, l’école est décorée avec des affiches inspirées de mes livres. J’ai vécu des cas de « petite séduction », comme dans l’émission télé : l’école avait été transformée, chaque classe avait une activité pour me dire à quel point on aime mes livres, le directeur de l’école avait préparé quelque chose, les profs aussi, et le concierge était impliqué dans le projet ! »
« Dans les écoles primaires, on est attendus, c’est la fête du livre », abonde l’écrivain jeunesse Bertrand Gauthier. « Si un écrivain fait toute l’école dans une semaine, il y a des affiches, des photos de lui partout. L’école en profite pour organiser une semaine de la lecture. »
La culture à l’école, sous sa forme actuelle, existe depuis 2004, mais ses origines remontent à 1984. Ce programme subventionné par les ministères de l’Éducation et de la Culture permet à des artistes et des écrivains de présenter des ateliers créatifs en classe. Les écoles, pour choisir leurs invités, puisent dans le Répertoire de ressources culture-éducation du ministère de la Culture, qui présente les profils de plus de 2 200 artistes, écrivains et organismes culturels. (L’UNEQ coordonne l’inscription des écrivains)
La formule la plus courante consiste en trois animations d’une heure par jour (trois groupes d’un maximum de 35 élèves par groupe) ou de deux périodes de deux heures (pour deux groupes d’élèves). Les animations peuvent s’échelonner pendant quelques jours et dans plusieurs classes d’une même école, pour que l’écrivain rencontre le plus d’élèves possible. Le volet du programme Une école accueille un artiste ou un écrivain permet aux élèves de participer à un travail d’expérimentation artistique de longue durée (de quatre à douze semaines). L’école peut obtenir un remboursement, dans le cadre du programme, pour l’achat de livres signés par un écrivain invité.
L’artiste multidisciplinaire Marc Sauvageau anime depuis neuf ans des ateliers d’écriture, d’enregistrements sonores, de création de vidéos et d’édition de livres. « L’expérience complète de l’édition d’un livre », précise-t-il, y compris des livres-CD et DVD. Ces activités, formatrices pour les élèves, entraînent aussi des retombées intéressantes pour l’artiste : ses initiatives scolaires ont été récompensées par plusieurs prix, notamment le Prix d’excellence en français Gaston-Miron 2015 pour ses projets réalisés dans les écoles primaires et secondaires des Laurentides.
« On joue un rôle essentiel en éducation : on arrive de l’extérieur et on démontre aux jeunes qu’on peut vivre de l’écriture ou d’une autre forme d’art », affirme Marc Sauvageau.
« C’est un programme très important et très bénéfique, à la fois pour les élèves et les enseignants », confirme l’écrivaine jeunesse Andrée Poulin, une habituée de La culture à l’école depuis une dizaine d’années. « Je fais aussi des animations dans d’autres provinces canadiennes et, à moins que je me trompe, je crois que le Québec est la seule province au Canada qui ait un programme officiel, avec un budget pour les écoles. Le Québec a été novateur et précurseur. »
En 2009-2010, La culture à l’école a totalisé 1 476 journées d’animation par des écrivains; 29 520 livres ont été acheminés dans les écoles pour une moyenne de 20 livres distribués par journée d’animation, indiquent les dernières données disponibles.
UN PROGRAMME SOUS PRESSION
Victime de son succès, La culture à l’école fait l’objet de critiques de la part d’écrivains qui y participent. Au premier chef : les aléas du budget pour l’achat de livres.
Lors de l’année scolaire 2009-2010, la popularité croissante du programme a épuisé le budget et entraîné un gel des achats au milieu de l’année. Une vive réaction des écrivains a amené Québec à voter un budget supplémentaire. Le nombre de livres par jour de rencontres, qui avait déjà chuté de 33 à 20 dans le passé, est tombé à neuf exemplaires malgré les nouvelles ressources financières, puis à zéro deux mois plus tard, lorsque les fonds supplémentaires ont été épuisés.
En 2011, le ministère de la Culture a reconnu le manque à gagner. Il a intégré l’enveloppe de 200 000 $ auparavant réservée à l’achat de livres aux trois millions $ destinés aux frais remboursables du programme (pour l’ensemble des artistes, écrivains, etc.). L’achat de livres est ainsi traité, depuis 2010-2011, comme une dépense admissible au même titre que les honoraires, les frais de transport et de séjour.
Encore faut-il que les commissions scolaires, qui gèrent les budgets pour le programme, achètent effectivement les ouvrages. Avec des compressions de plus d’un milliard $ en six ans dans le réseau (selon la FCSQ), les budgets pour l’achat de livres ont souffert. « Le programme a été décentralisé aux commissions scolaires, ce qui crée des incohérences parce que ce ne sont pas toutes les commissions scolaires qui l’appliquent de la même façon », déplore Andrée Poulin. « Des commissions scolaires disent à leurs écoles qu’il n’y aura pas de budget pour l’achat de livres, d’autres sont beaucoup plus généreuses. »
Les écoles doivent effectuer les achats de livres dans des librairies agréées. Le personnel scolaire se plaint fréquemment de la lourdeur des démarches administratives et des enseignants manquent de temps pour préparer la visite d’un écrivain.
L’année scolaire 2015-2016 a été marquée par les revendications et les moyens de pression d’enseignants à la suite de compressions budgétaires. Plusieurs artistes et écrivains ont perçu un impact direct sur la réalisation de rencontres en classe : nombre moins élevé de demandes, communications difficiles, enthousiasme et intérêt décroissants pour l’organisation d’activités culturelles.
De plus, le tarif de 325 $ pour trois animations d’une heure et les remboursements de frais n’ont pas bougé depuis 2004, ce qui irrite plusieurs écrivains et artistes.
Bertrand Gauthier estime que le tarif pour trois animations d’une heure devrait atteindre environ 400 $ pour tenir compte de l’inflation. (En comparaison, le tarif accordé pour une animation de 90 minutes en bibliothèque, soutenu par le Conseil des arts du Canada, est de 250 $.)
La dernière évaluation gouvernementale de La culture à l’école remonte à 2007 (La culture, toute une école !). « Ce programme, c’est urgent, a besoin d’une évaluation en bonne et due forme par des consultants indépendants pour vraiment dire aux ministères ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas », réclame Andrée Poulin. « Il y a un manque de clarté, des formulaires sont souvent modifiés à la dernière minute et ils sont longs à remplir. »
Bertrand Gauthier – Crédit photo : Paloma Daris-Bécotte
DE LA LITTÉRATIE À LA LITTÉRATURE
Que la langue soit à la base de tous les apprentissages dans un parcours scolaire, cela va de soi. Et les acteurs du milieu savent bien que des difficultés de lecture éprouvées par un élève au primaire risquent d’entraîner son décrochage au secondaire.
La place du livre, en revanche, ne semble jamais assurée, comme s’il fallait encore défendre cet objet inventé il y a plus de 500 ans (innovation précédée de 4 000 années de recherche et développement, si l’on remonte à l’écriture cunéiforme sur tablette d’argile pendant l’Antiquité), au coeur de la transmission des savoirs de la civilisation occidentale.
Nombre de spécialistes soutiennent qu’il faut sensibiliser les enfants à la lecture avant la première année du primaire par des expériences qui mettent l’accent sur la compréhension du récit, pour que l’apprentissage aille plus loin que la mémorisation de l’alphabet et le décryptage des mots. (Voir par exemple l’ouvrage d’Hélène Makdissi, Andrée Boisclair et Pauline Sirois La littératie au préscolaire, une fenêtre ouverte vers la scolarisation, Presses de l’Université du Québec, 2010) Organiser des jeux autour des écrits, animer des lectures en groupe, que chacun puisse poser des questions et faire part de ses réflexions pendant que se déroule un récit : autant d’activités qui permettent à l’élève d’accroître son vocabulaire et d’organiser sa pensée.
« Les enfants sont entourés d’écrans, inondés d’informations de toutes sortes, à des vitesses fulgurantes », souligne Dominique Demers. « Avec le livre, nous avons un produit culturel qui se vit dans le temps et dans le silence. Il n’y a rien qui déverrouille l’imaginaire de manière aussi magistrale, et ça, on n’a pas besoin de l’expliquer aux élèves, quand on le leur fait vivre, ils comprennent. »
La culture à l’école a prouvé que la présence d’auteurs en classe qui interagissent avec les élèves lors d’activités centrées sur une oeuvre littéraire personnalise et dynamise l’expérience. Les écrivains, modèles positifs, peuvent donner la piqûre de la littérature. « Les bons livres existent, les non-lecteurs et les lecteurs récalcitrants existent, et ce qu’il faut, c’est un pont entre les deux », clame Dominique Demers. « Les ponts doivent être vivants en littérature. Je ne crois pas qu’une simple liste de coups de cœur soit suffisante. » •