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Réussite des élèves

CartoJeunes : un outil au service de la gouvernance scolaire au secondaire

| Par Michel Perron, professeur associé, Département des sciences humaines et sociales, Université du Québec à Chicoutimi et titulaire de la Chaire UQAC–Cégep de Jonquière sur les conditions de vie, la santé et les aspirations des jeunes (VISAJ), et Isabelle Morin, chargée de projet à la Chaire VISAJ

 Photos-Michel Perron et Isabelle MorinLe 27 mai dernier, dans le cadre de l’assemblée générale annuelle de la Fédération des commissions scolaires du Québec, Michel Perron a prononcé une conférence intitulée La mobilisation territoriale pour favoriser la persévérance et la réussite scolaires devant les élus et les directions générales des commissions scolaires de toutes les régions du Québec. Il y a, entre autres, dressé un portrait de la situation québécoise en matière de persévérance scolaire et présenté la plateforme CartoJeunes. Le présent texte se veut un bref rappel ainsi qu’une exploration plus approfondie de certains éléments clés s’y rapportant.

D’importantes disparités territoriales dans les parcours scolaires des élèves du secondaire

Au Québec, les trois quarts (76 %) des élèves ayant commencé leurs études secondaires à l’automne 2007 ont obtenu un diplôme ou une qualification du secondaire au plus tard sept ans après. Mais le Québec n’est pas un bloc monolithique, bien loin de là. Cette proportion varie considérablement d’une région à l’autre, allant de 39 % dans le Nord-du-Québec jusqu’à 80 % dans la Chaudière-Appalaches (voir la figure 1). La situation est actuellement la plus favorable dans la Chaudière-Appalaches, le Saguenay – Lac-Saint-Jean, le Bas-Saint-Laurent, la Capitale-Nationale et le Centre-du-Québec, cinq régions limitrophes. Le bilan demeure toutefois préoccupant pour plusieurs territoires situés en périphérie : Nord-du-Québec, Côte-Nord et Abitibi-Témiscamingue.

Figure 1. Taux de diplomation et de qualification après 7 ans au secondaire, régions du Québec, cohorte de 2007, tous réseaux confondus, sexes réunis

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Source des données : ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, produit par la Chaire VISAJ avec la collaboration d’ÉCOBES – Recherche et transfert

Lorsqu’on détaille la diplomation et la qualification après 7 ans au secondaire selon le genre, deux éléments sautent aux yeux : les taux observables chez les filles sont globalement supérieurs à ceux des garçons d’une dizaine de points de pourcentage et le patron géographique de la persévérance scolaire n’est pas le même (voir la figure 2).

Figure 2. Taux de diplomation et de qualification après 7 ans au secondaire, régions du Québec, cohorte de 2007, tous réseaux confondus, selon le genre

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Source des données : ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, produit par la Chaire VISAJ avec la collaboration d’ÉCOBES – Recherche et transfert

Une étude plus approfondie des données selon le genre montre que l’écart entre le taux des filles et celui des garçons varie considérablement d’une région à l’autre, allant de 6, 7 et 8 points dans les régions de la Côte-Nord, de la Gaspésie – Îles-de-la-Madeleine, du Saguenay – Lac-Saint-Jean et du Nord-du-Québec au double (12 et 14 points) dans les Laurentides, dans le Bas-Saint-Laurent, à Laval et dans le Centre-du-
Québec (voir le tableau 1).

Tableau 1. Écart dans les taux de diplomation et de qualification après 7 ans au secondaire entre les filles et les garçons, régions du Québec, cohorte de 2007, tous réseaux confondus

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Source des données : ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, produit par la Chaire VISAJ avec la collaboration d’ÉCOBES – Recherche et transfert

D’importants progrès ont été réalisés au Québec en matière de persévérance scolaire au cours des dernières années. En effet, le taux de diplomation et de qualification après 7 ans au secondaire a augmenté de 6 points de pourcentage entre la cohorte de 1998, qui présentait un taux de 70 %, et celle de 2007, qui affiche un taux de 76 %. Encore là cependant, d’importantes disparités spatiales sont observables entre les régions du Québec (voir le tableau 2). Les régions des Laurentides, de l’Outaouais, de Lanaudière et de Montréal ont fait des gains élevés (de 8 à 12 points de pourcentage) pendant cette période alors que les régions de la Capitale-Nationale, de la Côte-Nord et de l’Abitibi-Témiscamingue n’ont presque pas progressé. Seule la région du Nord-du-Québec a vu son taux de diplomation baisser.

Tableau 2. Écart dans les taux de diplomation et de qualification après 7 ans au secondaire entre les cohortes de 1998 et 2007, régions du Québec, tous réseaux confondus, sexes réunis

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Source des données : ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, produit par la Chaire VISAJ avec la collaboration d’ÉCOBES – Recherche et transfert

Si l’on s’intéresse à d’autres indicateurs des parcours scolaires au secondaire comme la diplomation et la qualification après 5 ans au secondaire, les sorties sans diplôme (décrochage scolaire), l’accès à la formation professionnelle ou à la formation générale des adultes après 7 ans au secondaire, on remarque aussi d’importantes inégalités entre les régions québécoises. Et en forant les régions, on observe également des inégalités entre les MRC, entre les municipalités, entre les arrondissements.

Cette courte analyse des données du secondaire réalisée grâce à la plateforme CartoJeunes montre qu’il existe d’importantes disparités de persévérance scolaire au secondaire entre les régions du Québec, ce qui confirme la pertinence de poursuivre trois chantiers en matière de persévérance et de réussite scolaires au secondaire :
•    la recherche portant sur les facteurs territoriaux de persévérance et de réussite scolaires;
•    l’élaboration de solutions adaptées aux spécificités et au contexte particulier de chaque territoire;
•    la mobilisation régionale des acteurs interordres et intersectoriels de la persévérance et de la réussite scolaires des jeunes.

La plateforme CartoJeunes a été développée en appui à ces chantiers.

Soutenir l’action des communautés

Plateforme Web de cartographie interactive disponible à tous sur cartojeunes.ca, CartoJeunes permet d’interroger un vaste entrepôt de données sur les jeunes québécois. Elle offre à l’internaute la possibilité de représenter, à l’aide de centaines de milliers de cartes, de tableaux et de graphiques, de nombreux indicateurs démographiques, culturels, socioéconomiques et scolaires selon divers découpages géographiques : province, régions administratives, MRC, municipalités et arrondissements. En dressant un portrait juste et précis des territoires et en mettant en lumière les disparités territoriales de scolarisation et de conditions de vie des jeunes, CartoJeunes constitue un outil de monitorage territorial utile à toutes les étapes d’une démarche locale, régionale ou nationale visant le développement, le mieux-être et l’épanouissement des jeunes, et ce, du diagnostic à l’évaluation (voir le tableau 3).

Tableau 3. Apport de CartoJeunes à chacune des étapes d’une démarche d’intervention

Tableau-3

Trois portes d’entrée permettent à l’utilisateur d’accéder aux 107 indicateurs actuellement disponibles dans CartoJeunes :
1)    parcours scolaires au secondaire;
2)    parcours scolaires au collégial;
3)    conditions de vie.

Les 15 indicateurs des parcours scolaires au secondaire portent sur la diplomation, le décrochage scolaire, l’accès à la formation professionnelle et à la formation des adultes. Les 15 indicateurs des parcours scolaires au collégial renseignent quant à eux sur la poursuite des études sans interruption entre le secondaire et le collégial, les étudiants admis conditionnellement, la moyenne au secondaire, la réussite des cours, la réinscription à un trimestre ultérieur et la diplomation. Finalement, les 77 indicateurs des conditions de vie s’intéressent à une diversité de dimensions : démographie, composition des familles, éducation, économie et emploi, logement, langues, mobilité et immigration.

Sur la plateforme CartoJeunes, les données sont disponibles selon plusieurs déclinaisons afin d’affiner les analyses : territoire (ensemble du Québec ou chacune des régions administratives), genre, réseau au secondaire, type de formation au collégial, période (cohorte de 1998 et suivantes). Des informations géographiques sont aussi rendues disponibles pour contextualiser la requête : routes, établissements scolaires, noms de lieux, etc. Enfin, la description détaillée de chaque indicateur est fournie et la méthodologie utilisée est clairement explicitée. Exploitant l’application Map4Decision d’Intelli3 spécialement adaptée au projet, CartoJeunes a été développé sous la direction de Michel Perron par la Chaire VISAJ et par ÉCOBES – Recherche et transfert. La plateforme a pu voir le jour grâce à la collaboration et au soutien du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, de la Fondation Lucie et André Chagnon et du Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies.

En plus de faciliter le travail des communautés territoriales durant toutes les étapes d’une démarche d’intervention visant la persévérance et la réussite scolaires de leurs jeunes, CartoJeunes fournit la matière première nécessaire à une meilleure compréhension des liens qui existent entre la réussite scolaire et le territoire : des données fiables, bien documentées et mises à jour annuellement.

Mieux comprendre comment le territoire peut avoir un impact sur la réussite des jeunes

Il y a plus de 20 ans, une étude,1 réalisée par Suzanne Veillette, Michel Perron et leurs collaborateurs du Groupe ÉCOBES, soulignait pour la première fois d’importantes disparités géographiques et sociales en matière d’accès, de choix de programme et de réussite au collégial. Le lieu de résidence du jeune en 1re secondaire semblait alors déterminant, les jeunes des municipalités rurales et éloignées ainsi que ceux des quartiers urbains défavorisés étant désavantagés. On y apprenait par exemple que les garçons habitant les secteurs défavorisés de l’agglomération Chicoutimi-Jonquière avaient près de deux fois moins de chances d’accéder aux études collégiales que ceux des secteurs favorisés (43 % contre 81 %). Ces constats ont mené à la mise en place d’un vaste processus de mobilisation et de concertation intersectoriel et interordres au Saguenay – Lac-Saint-Jean autour de la question de la persévérance scolaire. Une instance régionale, le Conseil régional de prévention de l’abandon scolaire (CRÉPAS), a d’ailleurs été créée dans cette foulée pour être la gardienne du processus de mobilisation régionale. Depuis, la situation de la diplomation et de la persévérance scolaire s’est grandement améliorée dans la région. L’approche territoriale du Saguenay – Lac-Saint-Jean a d’ailleurs influencé les autres régions du Québec qui se sont toutes dotées depuis d’une telle instance régionale de concertation.

Au cours des dernières années, plusieurs études d’ici et d’ailleurs tendent à montrer une influence marquante du territoire sur le cheminement scolaire des jeunes2. Les caractéristiques sociales, économiques, géographiques et culturelles des communautés où vivent les jeunes constituent des déterminants de leur développement, de leur bien-être et de leur persévérance scolaire. On constate que les jeunes provenant de milieux défavorisés sont plus touchés par l’abandon scolaire et qu’ils risquent davantage de connaître des retards scolaires et des échecs répétés, d’éprouver diverses difficultés d’adaptation et de faire face à l’exclusion scolaire. Ainsi, les inégalités sociospatiales marquent les parcours scolaires des jeunes et conditionnent leurs chances de qualification.

Pour mieux expliquer les disparités territoriales afin de les enrayer, il s’avère donc essentiel d’explorer les liens qui existent entre la réussite scolaire et les différentes facettes du territoire dans lequel évoluent les élèves et les étudiants : type d’économie, scolarisation des adultes, sentiment d’appartenance, habitudes de concertation, niveau de mobilisation de la communauté, accessibilité des services, etc. En fournissant une foule de données territorialisées portant autant sur les conditions dans lesquelles vivent les jeunes que sur leurs parcours scolaires, CartoJeunes permet aux chercheurs et aux intervenants de pousser plus loin leur réflexion.

À vous de jouer !

Que vous soyez enseignant, conseiller pédagogique, gestionnaire, commissaire, analyste, chercheur ou professionnel, vous pouvez accéder à CartoJeunes.ca dès maintenant afin de produire une carte de votre région. Vous verrez, vous aurez rapidement l’élan d’en produire une seconde pour comparer les genres, croiser les indicateurs, suivre l’évolution dans le temps, forer par réseau…
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1    VEILLETTE, S., PERRON, M., HÉBERT, G., MUNGER, C. et J. THIVIERGE. 1993. Les disparités géographiques et sociales de l’accessibilité au collégial. Étude longitudinale au Saguenay — Lac-Saint-Jean. Jonquière, Cégep de Jonquière, Groupe ÉCOBES, 163 pages.
2    Anderson, Leventhal et al., 2014; Caro, 2009; Chenoweth et Galliher, 2004; Crowder et South, 2003; Dupéré, Leventhal et al., 2010; Sastry et Pebley, 2010; Sirin, 2005