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Mars 2016

Les chaises longues du Titanic et le réinvestissement ciblé en éducation !

| Par Marc St-Pierre, consultant, formateur et conférencier en éducation

MarcStPierreLes dernières rondes de coupures en éducation  ont fait mal. Elles se sont traduites par de réelles diminutions de services pour les élèves les plus à risque et rien dans la rhétorique du retour à l’équilibre budgétaire ne pourrait justifier cet état de fait bien réel.

Des commissions scolaires ont été contraintes de faire des choix budgétaires déchirants et le gouvernement, caché derrière le masque des coupures paramétriques, leur a fait seules porter le blâme. On a par exemple poussé l’odieux jusqu’à reprocher à certaines d’entre elles d’avoir recyclé l’argent destiné au programme d’aide aux devoirs pour tenter d’adoucir l’effet des compressions. Ce qui revient à dire qu’on a pointé du doigt des décideurs locaux parce qu’ils ont sacrifié en partie ou en totalité un programme pour aider les jeunes à faire leurs devoirs alors que la recherche sur les devoirs au primaire nous apprend qu’ils sont sans effet sur la réussite. On les accuse d’avoir coupé une mesure inefficace pour tenter de maintenir  ouvertes des classes spécialisées ou des postes de professionnels ! Voilà où nous en sommes rendus : défendre l’indéfendable et l’inefficience.

Les coupures ont fait mal, mais les mauvais investissements aussi et depuis longtemps. Au nom de la réussite, on a dépensé énormément ces dernières années pour mettre en place une série de mesures et de programmes qui ont en commun le fait d’être coûteux et de n’avoir que peu ou pas d’impact sur la réussite, recherches et évaluations à l’appui. Tout cela a coûté et continue de coûter plusieurs centaines de millions de dollars par année sans vraiment d’effet sur la réussite.  Et nous tolérons cela.

Je soumets cet exemple qui illustre bien la banalisation de l’intolérable. Le Québec, selon les normes de l’OCDE, compterait plus de 50 % d’analphabètes fonctionnels. Ce qui veut dire, en terme simple, qu’un adulte sur deux a de la difficulté à comprendre ce qu’il lit. Visiblement, tout l’argent que le Québec a investi et continue d’investir pour apprendre à lire à ses enfants est loin de rapporter les dividendes anticipés. Ici, parler de l’échec de nos politiques publiques en littératie est un euphémisme. Alors, pourquoi ne pas considérer l’urgence de revoir nos programmes d’études de la maternelle à 4 ans à la 2e année au regard des premiers apprentissages en lecture ?  Pourquoi ne pas se donner comme cible nationale que tous les enfants sachent lire à la fin de la 2e année ? Les programmes d’études actuels en littératie accusent un retard important par rapport aux connaissances scientifiques et on sait que cela a des conséquences majeures sur les trajectoires scolaires d’un nombre très important de jeunes.

Depuis deux ans, j’ai sillonné le Québec d’ouest en est, de Gatineau à Baie-Comeau, pour partager cette idée de réinvestissement intelligent; pour répéter qu’il faut appuyer le développement de politiques publiques en éducation sur des données probantes, issues de la recherche. J’ai rencontré des élus scolaires, des directions d’école, des cadres de services, des conseillers pédagogiques, des intervenants issus du milieu de la santé et des affaires sociales, des secteurs municipal et communautaire.


Le Québec a besoin de se doter d’un Institut scientifique national d’éducation publique, neutre et indépendant qui pourrait conseiller les enseignants, les directions d’école, les élus scolaires, le gouvernement et le public  sur les approches les plus efficaces dans le  domaine de l’enseignement, de l’administration scolaire et du développement des politiques.


 

J’ai repris avec eux, chaque fois, les mêmes thèmes :

  • Quels sont les principaux déterminants de la réussite scolaire et que nous apprend la recherche à leur sujet ?
  • Quels sont les principes à la base des programmes qui donnent des résultats ?
  • Des programmes existent-ils pour agir sur les différents déterminants ?
  • Comment y avoir accès ?
  • Que fait-on dans les commissions scolaires efficaces et qu’on ne fait pas dans celles qui le sont moins ?
  • Que nous apprend la recherche sur la place et le rôle des élus scolaires dans les systèmes scolaires performants ?  
  • Sait-on seulement l’effet réel que peuvent avoir les élus scolaires sur la réussite ?
  • Sur quelles bases de données doit-on s’appuyer pour développer des politiques éducatives plus efficaces ?
  • Comment concilier une plus grande autonomie pour les écoles tout en maintenant une commission scolaire responsable de fixer des orientations régionales, d’arbitrer les différends et de répartir équitablement les ressources ?
  • Que nous apprennent les recherches récentes sur le sujet ?1

Les connaissances qui nous permettraient d’améliorer la réussite de tous nos élèves, de rétrécir les écarts entre garçons et filles et entre élèves issus de milieux favorisés et défavorisés existent et sont disponibles. Il faut assurément réinvestir en éducation, massivement, mais cela ne doit pas se faire à la pièce et au goût du jour. Le Québec a besoin de se doter d’un institut scientifique national d’éducation publique, neutre et indépendant qui pourrait conseiller les enseignants, les directions d’école, les élus scolaires, le gouvernement et le public sur les approches les plus efficaces dans le domaine de l’enseignement, de l’administration scolaire et du développement des politiques. Le Québec doit se donner une politique nationale d’éducation publique pour guider et orienter le réinvestissement à venir. Et cette politique devra prendre appui sur des données probantes, des évaluations indépendantes plutôt que sur les préjugés, l’opinion, ou les croyances erronées.shutterstock_233115277

La dernière chose dont nous ayons actuellement les moyens, ce serait de se lancer dans de stériles débats de structures aux effets plus qu’incertains sur la réussite des jeunes. Les restructurations ne devraient être considérées qu’en dernière et ultime instance, car elles ont souvent un effet délétère sur la réussite et la persévérance, notamment parce qu’elles détournent l’attention et l’énergie des acteurs du système scolaire de leur mission première.  Il faut miser sur des valeurs sûres. Parler de structures dans le contexte actuel, c’est comme placer en lignes bien droites les chaises longues sur le pont du Titanic, alors que le bateau menace de couler.

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1    L’auteur aborde ces questions dans le cadre de la formation Améliorer la réussite des élèves : ce que font les commissions scolaires performantes.