Magazine Savoir FCSSQ

Négociations des conventions collectives

Dans les coulisses de la négociation nationale

| Par François Darveau, directeur des relations du travail à la FCSQ [email protected]

Photo Francois DarveauLe 10 mars dernier, le Comité patronal de négociation pour les commissions scolaires francophones (CPNCF) convenait d’une entente de principe avec la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), la dernière à être sous sa responsabilité. Étape déterminante dans le renouvellement des ententes nationales, la conclusion des ententes de principe ne marque pas pour autant la fin du cycle de négociation. Les parties procèdent actuellement à l’écriture des textes finaux et au suivi de toutes les étapes nécessaires pour assurer une bonne transition.

Cadre financier à saveur d’austérité, défilé historique de moyens de pression, mobilisation citoyenne pour un réinvestissement massif en éducation, négociations adaptées à neuf fédérations syndicales, nécessité de moderniser les ententes nationales, volonté de préserver l’équité dans les services aux élèves, jurisprudence préoccupante et, en toile de fond, un contexte politique plongeant le réseau dans une longue période d’incertitude. Autant de facteurs qui auront contribué à rendre la conclusion de ces ententes de principe particulièrement complexe. 

Avoir les moyens de ses ambitions

Alors que les voix se multiplient pour un réinvestissement en éducation, le gouvernement est demeuré ferme quant à sa volonté de renouveler l’ensemble des ententes sectorielles sans autre investissement que les sommes réallouées à même lesdites ententes. Négocier à coût nul, oui… mais à quel prix ?

En 2010, la négociation nationale avait été, d’un commun accord entre les parties, courte et ciblée. Celle-ci laissait présager une négociation plus substantielle, le rendez-vous attendu qui permettrait d’améliorer les ententes nationales, de les rendre plus efficientes, actuelles et propices à une meilleure organisation du travail et des services aux élèves. C’est dans cet esprit que se sont menées les consultations préalables à l’élaboration des propositions patronales. Des chantiers, il n’en manquait pas ! En passant par le régime de rémunération complexe du personnel enseignant, les paramètres de leur tâche, les règles de pondération des élèves, les nombreux statuts d’emploi du personnel de soutien, etc.

Les attentes des gestionnaires étaient légitimes, les problèmes réels et les besoins bien présents. Or, mener à terme de tels chantiers requiert des leviers financiers qui eux n’auront finalement jamais été au rendez-vous.

Axer la négociation sur la recherche de solutions et non sur les revendications

La partie patronale privilégiait une négociation basée sur la résolution de problématiques, soit une approche invitant les parties à s’imprégner des enjeux de l’autre et favorisant la recherche de solutions conjointes, idéalement à bénéfices mutuels. Dans une négociation dite « à coût nul », les parties ne peuvent tout simplement pas se camper derrière leurs positions. Elles doivent être proactives, novatrices et sensibles aux besoins de l’autre. Proposer des solutions parfois différentes, mais qui respectent ses propres mandats.

Définir ses priorités et bien se coordonner

La négociation nationale commande concertation et coordination de plusieurs intervenants. Elle commence d’abord avec soi-même (les commissions scolaires entre elles et leur Fédération), puis elle se précise avec ses partenaires (le ministère de l’Éducation, le Conseil du trésor) et, bien entendu, elle se termine avec ses vis-à-vis (les syndicats). Tout est question de conciliation, rien n’est laissé au hasard. Et avec un cadre financier aussi limité, il est essentiel de choisir ses priorités, de connaître la valeur qu’on leur accorde, mais également celle que l’autre partie y accorde. Choisir, c’est renoncer…

S’ajuster à la jurisprudence

En interronde et en cours de négociation, des sentences arbitrales et des décisions des tribunaux supérieurs sont venues ébranler des piliers des ententes nationales. Parmi elles, un litige mené jusqu’en Cour d’appel à l’issue duquel le temps de pause ou de récréation des élèves contenu entre deux périodes de tâche éducative assignées devrait être computé à l’intérieur des 27 heures de la tâche éducative du personnel enseignant. S’il devait en être ainsi, l’impact sur les services aux élèves et les coûts seraient considérables. Ne pouvant ignorer les effets potentiels de la jurisprudence, les marges de manœuvre de la partie patronale sur d’autres thèmes s’en sont trouvées considérablement réduites. On ne choisit donc pas toujours ses priorités, en voilà une qui s’est imposée… évacuant par le fait même le statu quo de toutes options.

Faire d’un problème une solution

Au cours des dernières années, plus d’une cinquantaine de griefs recherchant le même objet ou les mêmes effets que celui à l’origine du litige concernant le temps de pause des élèves ont été déposés par les syndicats du personnel enseignant, représentant un passif potentiel considérable pour la partie patronale. En retirant ces griefs, les syndicats contribuent à réduire les risques financiers du gouvernement, lui permettant ainsi de dégager des sommes à investir à l’intérieur des ententes, et ce, dans le respect de ses paramètres budgétaires.

Distinguer négociation et compressions en éducation

Alors que s’amorçait le renouvellement des ententes nationales, les commissions scolaires en étaient à leur cinquième année de compressions, traduisant un manque à gagner avoisinant le milliard de dollars. Ainsi, parallèlement aux moyens de pression exercés par les membres du personnel, s’orchestrait une forte mobilisation citoyenne dénonçant l’impact des compressions sur les élèves et la nécessité de réinvestir en éducation. Des chaînes humaines autour des écoles, des regroupements sur les médias sociaux, des pétitions, etc., autant de forums où parents et citoyens unissaient leurs voix pour dire au gouvernement « Je protège mon école publique ». Parfois source de confusion dans le message à porter, la mobilisation entourant la négociation et celle en lien avec les compressions en éducation, quoique liées à certains égards, demeurent des sujets d’ordres différents.

D’ailleurs, le 29 novembre dernier, François Blais, alors ministre de l’Éducation, faisait l’annonce d’un investissement récurrent, mais non conventionné, de 70 M$ en services aux élèves dans les commissions scolaires. 

Distinguer les services aux élèves et le contrat de travail des enseignants

En effet, pour toutes sortes de raisons, plusieurs mesures liées aux services aux élèves sont ancrées dans les ententes nationales, particulièrement celles du personnel enseignant. En dissociant « services aux élèves » et « conditions de travail », le gouvernement adopte alors une approche plus restrictive du contrat de travail… un choix politique. On peut difficilement critiquer un gouvernement qui investit dans les services aux élèves lorsqu’il le faut, et non parce qu’un contrat de travail l’y oblige. N’empêche que pour un négociateur, un tel investissement mis en marge d’un blitz de négociation qui ne peut être utilisé, c’est aussi le choix de se priver d’un bon levier, celui du rendez-vous attendu.

Avoir des ententes nationales de couleurs différentes, mais d’un seul format

L’une des valeurs qui a particulièrement guidé la partie patronale dans le cadre des échanges avec les différentes fédérations syndicales est l’équité dans les services à rendre aux élèves et l’équité pour les personnes salariées, de même catégorie et de toutes accréditations. Certains sujets permettent à son interlocuteur d’y mettre sa couleur et son identité. Pour d’autres, le choix de couleur est plus limité, dans les mêmes teintes, voire de couleur uniforme. En négociation, il faut savoir les distinguer.

Mener la négociation à terme malgré un contexte politique mouvementé

Enfin, on ne peut ignorer le contexte politique particulièrement délicat dans lequel se sont retrouvées les parties nationales au cours de la présente négociation. Rappelons que le CPNCF est composé à la fois du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES) et de la Fédération des commissions scolaires du Québec (FCSQ). Or, le projet de loi no 86, proposant une réforme majeure de la gouvernance des commissions scolaires par l’abolition des élus scolaires, a été déposé à l’Assemblée nationale le 4 décembre 2015.

À ce moment, certaines tables de négociation étaient toujours en blitz de négociation. Déterminée à convaincre le gouvernement de la pertinence et de la nécessité de maintenir la démocratie scolaire par l’élection au suffrage universel, la FCSQ n’aura malgré tout jamais manqué à ses responsabilités en tant que partie négociante à l’échelle nationale, partenaire du ministère. Éviter la confusion des rôles avec toujours l’élève en tête !