Enjeux des transformations à venir
Michel Venne,
Directeur général de l’Institut du Nouveau Monde (INM)
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Cette conférence a été prononcée par Michel Venne, directeur générale de l’Institut du Nouveau Monde (INM)[ref]L’Institut du Nouveau Monde (INM) est une organisation indépendante à but non lucratif œuvrant principalement au Québec avec pour mission d’accroître la participation des citoyens à la vie démocratique. L’INM a collaboré avec des commissions scolaires et s’intéresse aux questions d’éducation depuis sa fondation, en 2003. Entre autres, l’INM a organisé, le 26 octobre 2015, un Forum sur la démocratie scolaire auquel ont participé plus de cent personnes. Une documentation a été produite pour ce Forum qui fait le tour des principaux enjeux (incluant les présentations des conférenciers). Celle-ci peut être consultée à l’adresse suivante : http://inm.qc.ca/blog/forum-democratie-scolaire/[/ref] lors de la réunion des présidents et présidentes des commissions scolaires membres de la Fédération des commissions scolaires du Québec (FCSQ), le vendredi 20 novembre 2015. Cette conférence reprend l’essentiel de celle donnée, le jeudi 12 novembre, en ouverture d’un colloque de l’Association des directions générales des commissions scolaires (ADIGECS).
Le réseau public d’éducation a connu plusieurs changements au cours des dernières décennies. Il subit lui aussi les contraintes de la rigueur budgétaire. Il est affecté par le climat créé par les négociations des conventions collectives. Des parents se mobilisent pour appuyer les revendications des enseignants et des professionnels. Et il s’apprête à vivre une réforme de sa gouvernance qui aura des impacts sur le partage des pouvoirs entre le ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MEESR), les commissions scolaires et les établissements ainsi que sur sa démocratie.
En parallèle, l’ensemble du tissu institutionnel local et régional dans lequel s’inscrivent les commissions scolaires est l’objet de transformations en profondeur. Certains de vos partenaires disparaissent, sont fusionnés ou font l’objet de coupes budgétaires. Le réseau doit faire face en même temps à de grands défis démographiques et pédagogiques.
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Ces modifications surgissent dans un contexte plus large. Le gouvernement a entrepris, sans jamais l’avoir annoncé comme tel, ni en campagne électorale ni par la suite, de remodeler la gouvernance locale et régionale au Québec ainsi que celle des deux grands réseaux parapublics, le vôtre et celui de la santé et des services sociaux.
Cette évolution traduit l’adaptation de ce qu’on appelle parfois le « modèle québécois de gouvernance et de développement » à une approche plus managériale, d’autres disent néolibérale, enfin… à laquelle la société québécoise avait résisté dans les années 1980, notamment à cause de nos enjeux identitaires qui entraient en interaction avec les dynamiques économiques pour insuffler un peu de « collectif » dans les approches de développement.
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Thibault Martin, un sociologue spécialiste des questions autochtones, publié dans L’état du Québec 2015[ref]MARTIN, Thibault, Gouvernance territoriale : le modèle québécois en crise, dans Annick Poitras (dir.), L’état du Québec 2015 (www.inm.qc.ca/EDQ2015), une publication de l’Institut du Nouveau Monde, Del Busso éditeur.[/ref], raconte comment ce « modèle québécois » a d’abord évolué en deux phases, à partir des années 1960. Dans la première phase, qui s’est terminée avec la crise économique des années 1980, l’État « était à la fois planificateur, régulateur, développeur et pourvoyeur ». À l’époque, le développement économique servait la montée du nationalisme. Une centrale hydroélectrique à Manicouagan était un projet collectif dont les Québécois étaient fiers. C’était un outil de souveraineté et non pas seulement un moyen de produire de l’énergie. Martin rappelle que les régions jouaient alors un rôle important dans l’économie, mais aussi dans l’imaginaire québécois. Un stimulant, ce nationalisme, qui semble avoir perdu de son effet sur la population au cours des dernières années.
Avec la crise des années 1980, le « modèle » a évolué. Pendant qu’ailleurs dans les pays anglo-saxons en particulier, on appliquait la doctrine de la nouvelle gestion publique, ici, dans cette deuxième phase, l’État québécois s’engage dans un partenariat avec les autres acteurs de la société. Il favorise les initiatives émanant du milieu et crée des espaces de participation et de concertation de la société civile. Il devient accompagnateur, facilitateur du développement social et économique, bien que son rôle demeure central. La gouvernance devient « partenariale ». C’est là que sont créées ou consolidées plusieurs des structures qui sont aujourd’hui abolies. Cela continue jusqu’au début des années 2000.
Après son accession au pouvoir en 2003, le Parti libéral de Jean Charest entame une nouvelle redéfinition de ce « modèle ». C’est la troisième phase qui s’amorce. L’État continue de jouer un rôle central dans le développement. Il continue de partager le pouvoir avec des acteurs de la société, mais de moins en moins avec la société civile, et au profit des élus locaux et de l’industrie. Martin parle d’une approche de « partage de risques » avec les agents économiques. Les conseils régionaux de développement deviennent des conférences régionales des élus (CRÉ). Les centres locaux de développement (CLD) tombent sous la coupe des villes. Les régies régionales de la santé deviennent des agences dont l’autonomie par rapport au ministère est réduite.
Dans ce modèle, la société civile n’a guère son mot à dire. Sauf à protester, à s’opposer.
Ce à quoi on assiste depuis un an est en continuité avec cette évolution du modèle. L’abolition des CRÉ, la fin du financement des CLD et de Solidarité rurale, l’abolition des agences de santé et de services sociaux, la disparition des forums jeunesse régionaux, la fin du suffrage universel pour l’élection des commissaires scolaires, toutes ces décisions convergent. Et elles ont, entre autres, pour conséquence de priver les citoyens et la société civile de lieux d’influence directe sur les décisions, entre les élections provinciales.
Cette évolution correspond-elle à ce que veulent les citoyens ? En tout cas, ce rétrécissement des espaces de participation risque d’avoir sur eux un effet démobilisateur.
Tocqueville, ce politologue français venu visiter l’Amérique dans les années 1830, le disait fort bien. La meilleure façon de contrer l’individualisme dans une société libérale, c’est de confier localement aux gens des responsabilités et des pouvoirs. De sorte qu’ils se rendent compte qu’on ne peut guère résoudre seuls les problèmes qui nous dépassent comme individus. Les 5 % de citoyens qui ont voté aux élections scolaires en 2014, ce sont plusieurs centaines de milliers de personnes qui affichaient leur intérêt pour l’éducation et se donnaient la peine de se mobiliser pour elle. C’est la même chose pour les 3000 bénévoles qui siégeaient aux conseils d’administration des Centres de santé et
de services sociaux (CSSS) pour la santé comme bien public.
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Donc l’une des dimensions des changements structurels qui sont en cours est l’expulsion de la société civile et des citoyens des structures de décisions. L’autre dimension centrale des changements qui surgissent depuis 2014 est l’abolition pure et simple du palier régional de gouvernance, de concertation et de déconcentration du pouvoir.
Déjà, au début des années 1980, la création des municipalités régionales de comté (MRC) préfigurait d’une concentration de responsabilités sur le plan territorial à ces nouvelles entités regroupant plusieurs municipalités locales. Par la suite, la fusion de commissions scolaires confirmait une volonté étatique, toutes couleurs politiques confondues, de consolider le territoire sous-régional comme une échelle de gouverne de plus en plus structurante.
Les fusions municipales du début des années 2000 allaient dans le même sens. Non seulement de grosses villes naissaient de cette opération, mais des villes devenaient villes-MRC, des communautés rurales étaient consolidées, des agglomérations et des communautés métropolitaines étaient créées, regroupant services et instances de planification, de coordination et de concertation en deçà du palier régional, mais au-dessus des villes sur des territoires structurants.
Par la suite, tant sous les libéraux que pendant le bref passage du Parti québécois au pouvoir de 2012 à 2014, la décentralisation est revenue à l’ordre du jour. Les deux unions municipales ont réclamé plus de pouvoirs pour les villes, une plus grande autonomie, la reconnaissance des municipalités comme des « gouvernements de proximité ». Qu’advenait-il des régions dans ces nouveaux schémas de gouvernance ? Dans son livre bleu sur la gouvernance de proximité, la Fédération québécoise des municipalités (FQM) dit que dans le contexte de la décentralisation, « les compétences attribuées aux régions seront très variables » et « devront correspondre à la volonté des MRC d’y confier des mandats spécifiques ».
Sur fond de décentralisation, c’est le contrôle du gouvernement provincial sur les services locaux qui s’est chaque fois renforcé.
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— L’une des dimensions des changements structurels qui
sont en cours est l’expulsion de la société civile et des citoyens
des structures de décisions. —
Cela rappelle l’appréciation des principes de la gestion par résultats découlant elle-même de ce qu’on a appelé la « Nouvelle Gestion Publique » ou, en anglais « New Public Management ».
La loi 88 de 2008 a représenté une étape majeure dans la réduction de l’autonomie de la commission scolaire sur le plan de son organisation et de son fonctionnement, dans le renforcement du contrôle de celle-ci par l’autorité centrale et dans l’ajout de pratiques obligatoires.
Le professeur André Brassard[ref]BRASSARD, André, La commission scolaire comme lieu de gouvernance autonome (1959 à 2013) ?, dans Organisation des systèmes éducatifs, Revue Télescope, vol. 20 no 2, 2014, ENAP, p. 17 à 34. www.telescope.enap.ca/Telescope/74/Organisation_des_systemes_educatifs.enap[/ref] a identifié dans cette loi au moins onze nouvelles obligations auxquelles la commission scolaire doit satisfaire, dont principalement le dispositif d’alignement stratégique. Au total, ces obligations ont pour effet de contribuer à structurer de l’extérieur le fonctionnement de la commission scolaire, ce qui vient bien sûr miner la légitimité des structures démocratiques locales, en plus de solliciter du temps et de l’énergie de ses gestionnaires.
La commission scolaire est tenue de produire un plan stratégique dont les priorités doivent tenir compte des priorités (orientations, buts et objectifs mesurables) générales retenues dans le plan stratégique du Ministère. Les priorités du plan doivent aussi prendre en compte celles que le ministre peut déterminer pour chaque commission scolaire en fonction de la situation de chacune. Dans le cadre d’une convention de partenariat, le ministre et la commission scolaire conviennent alors des mesures requises pour assurer la mise en œuvre du plan stratégique de la commission scolaire. Par la suite, le ministre procède à l’évaluation des résultats de la mise en œuvre du plan. Si, malgré les mesures correctives apportées, le ministre estime peu probable que ces résultats soient atteints, il peut prescrire toutes mesures additionnelles que la commission scolaire doit mettre en place.
Est-ce que ce modèle sur papier est appliqué pleinement dans la réalité ? Le Vérificateur général du Québec a relevé dans un récent rapport des manquements évidents. Mais la logique implacable de la loi semble être tout de même devenue la règle dans le réseau.
Le même dispositif s’applique plus ou moins aux établissements, la commission scolaire devant convenir d’une convention de gestion et de réussite éducative avec chacun d’eux.
La logique de planification stratégique avec fixation d’objectifs à atteindre ne s’applique pas qu’à l’éducation. Elle est au cœur de la politique de modernisation de l’administration publique québécoise depuis l’adoption en 2000 du projet de loi no 82 sur l’administration publique. À cette époque-là, c’était le Parti québécois qui était au pouvoir.
Dans le prolongement de la loi 82, le projet de loi no 124, adopté sous le Parti québécois, et le projet de loi no 88 (en 2008, sous les libéraux) vont institutionnaliser la gestion axée sur les résultats dans l’ensemble du réseau public d’enseignement primaire et secondaire.
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C’est au nom de l’efficacité du système en vue de l’atteinte d’objectifs sociaux importants qu’on instaure cette nouvelle gestion. Au Québec, par exemple, le décrochage scolaire devient un problème social et politique crucial à partir du début des années 1990. C’est par rapport à cette finalité de « réussite de tous » que les gouvernants justifient la mise en place de la gestion axée sur les résultats en éducation, et notamment ses outils de gestion censés améliorer la qualité du système. Les modifications législatives apportées à la Loi sur l’instruction publique auraient alors pour but de resserrer l’alignement entre paliers et ainsi de créer une chaîne depuis les orientations et les buts du Ministère jusqu’aux actions et aux mesures prises dans les établissements.
Mais en même temps, la législation de 2008, tout en confirmant le rôle des commissions scolaires pour organiser les services éducatifs sur leurs territoires, ajoute d’autres missions, plutôt complémentaires à celle principale, incluant une mission de services à la communauté, déjà présente depuis 1979, mais que la législation de 2008 a considérablement renforcée et explicitée. Ces missions complémentaires exigent des actions de concertation avec d’autres organisations locales et régionales, la participation des parents et des citoyens, l’engagement de ses dirigeants.
Le professeur Guy Pelletier[ref]Pelletier, Guy, La commission scolaire québécoise du passé recomposée au temps présent : analyse et témoignages de pratiques de pilotage, dans Organisation des systèmes éducatifs, Revue Télescope, vol. 20 no 2, 2014, ENAP, p. 89 à 102. www.telescope.enap.ca/Telescope/74/Organisation_des_systemes_educatifs.enap[/ref] observe que les commissions scolaires se trouvent « contraintes » à une situation ambiguë entre deux axes. Le premier est horizontal, démocratique, communautaire et se veut participatif, ouvert aux différents membres de la communauté scolaire par une gestion décentralisée et une volonté d’accroître la mobilisation des uns et des autres.
Le second, vertical, se caractérise par des encadrements hiérarchiques de plus en plus prégnants en raison de la mise en place d’une contractualisation par les résultats et la multiplication des mécanismes hiérarchiques de contrôle. Les directions d’établissement, tout autant que celles des commissions scolaires, se trouvent donc face à ce qu’il appelle une « injonction paradoxale », qui les invite, d’une part, à adopter une gestion participative et un style d’intervention approprié à cette fin, et les exhorte, d’autre part, à exercer un contrôle serré des orientations, des actions et des résultats.
Depuis leur création, les commissions scolaires sont passées d’une décentralisation à une centralisation de plus en plus marquée, écrit-il, d’une préoccupation locale à des préoccupations nationales et économiques, d’un rôle politique et pédagogique de proximité à bien souvent un rôle de gestionnaire et de comptable d’un territoire de plus en plus vaste.
André Brassard remarque que le caractère démocratique de la composition du conseil des commissaires et de la désignation de ses membres, tout comme le fonctionnement participatif de l’organisme, est sans doute une avancée importante. Mais paradoxalement, ce caractère démocratique ne semble pas avoir permis d’augmenter ou, à tout le moins, de préserver l’autonomie de cette instance. « Au contraire, écrit-il, force est de constater que, depuis 1959, l’autonomie de la commission scolaire relative à son pouvoir de réglementation et d’autofinancement a été fortement réduite ».
L’Institut du Nouveau Monde (INM) a organisé, le 26 octobre dernier, un Forum sur la démocratie scolaire réunissant une centaine de personnes à Québec. En ouverture, l’ex-président du Conseil supérieur de l’éducation, Claude Lessard, a proposé une explication[ref]Le texte de la présentation de M. Lessard est disponible à l’adresse suivante : inm.qc.ca/wp-content/uploads/2015/11/la_democratie_scolaire_lessard.pdf[/ref].
La démocratisation bien réelle du système scolaire s’est heurtée à deux phénomènes contraires, selon lui.
Le premier est organisationnel : au Québec, comme ailleurs au Canada, le législateur, à plusieurs reprises et à intervalles rapprochés, a regroupé les commissions scolaires pour en faire des entités de plus en plus grosses, responsables de l’organisation des services scolaires de plus en plus diversifiés, à l’intérieur de territoires de plus en plus grands. Dans les années 50, il y avait au Québec plus de 1900 commissions scolaires locales. Au tournant du millénaire, au moment de la déconfessionnalisation des structures scolaires, on reconstitua les commissions scolaires sur une base linguistique, mais aussi en plus petit nombre, soit un peu plus de 70. Les commissions scolaires sont ainsi devenues de grosses machines administratives, gérant d’imposants budgets, personnels, locaux et services. Cette machine administrative nécessite des gestionnaires dotés d’expertise particulière.
On s’est considérablement éloigné de la petite commission scolaire locale, proche des parents, de la population locale et des enseignants. Les fusions et les regroupements des commissions scolaires ont amplifié la distance entre les commissaires et leurs commettants, cela se traduisant par un désintérêt pour l’élection des commissaires et peut-être une centration plus grande sur l’établissement (ou l’école) comme lieu de participation à la gouverne de l’éducation.
Le second phénomène est culturel, poursuit M. Lessard : la Révolution tranquille a été pour le Québec le moment de l’institutionnalisation de l’État-providence, c’est-à-dire d’un État porteur de valeurs de modernisation et d’égalité, et interventionniste dans les principaux champs sociaux et économiques; son principal instrument fut la planification systémique, d’où la création d’une technocratie d’État et d’une fonction publique professionnalisée.
Mais dès cette époque, les élites insistèrent sur l’importance d’une participation citoyenne à cette modernisation. (C’est ce que j’expliquais tout à l’heure à propos des phases du modèle québécois). On valorisait donc une démocratie de participation, capable d’équilibrer le pouvoir technocratique naissant et apte à légitimer localement les grands changements planifiés à partir de Québec.
Mais au fil des décennies, cette forme de participation à la chose publique se heurta à la fois à la bureaucratisation et aussi à une évolution culturelle importante, analyse M. Lessard : les citoyens sont devenus des consommateurs de services, soucieux d’obtenir de l’État pour nos enfants ou pour nous-mêmes les meilleurs services possible. « Ici, évolution des mentalités et évolution politique se renforcent mutuellement : les classes moyennes, de plus en plus individualistes, conçoivent l’éducation certes comme un investissement, mais encore plus comme un bien privé et la grande majorité d’entre eux ne s’impliquent qu’en tant que parents consommateurs. »
Malheureusement ou heureusement, l’État actuel se conçoit essentiellement comme un fournisseur de services publics qu’il veut efficaces et efficients. Pour cela, on n’a pas besoin de citoyens engagés, croit-on; on préfère plutôt des gestionnaires efficaces.
M. Lessard fait toutefois remarquer que les assemblées de commissaires actuelles ont des choix proprement politiques à faire dans la répartition des ressources, surtout si elles diminuent, dans l’établissement de priorités, et dans le choix des projets, et ce, en fonction de critères proprement politiques : pensons aux besoins des jeunes, à l’égalisation des chances, à la réponse aux demandes de parents pour des projets particuliers, à la rétention de clientèles tentées par le réseau privé, etc. Le choix de l’anglais intensif, par exemple, n’est pas neutre. Ce n’est pas une question « administrative » qui peut être tranchée sur de simples indicateurs de performance.
La démocratie scolaire trouve ici sa légitimité, dit-il, soulignant qu’ailleurs au Canada, le taux de participation aux élections scolaires est plus élevé depuis que celles-ci se tiennent en même temps que les élections municipales, une option qu’on se refuse à appliquer ici. Presque partout dans le monde, des autorités scolaires existent comme palier intermédiaire dans le système d’éducation et la plupart de ces instances sont contrôlées démocratiquement par des élus, bien qu’à certains endroits comme en Finlande, ce sont les élus municipaux qui ont autorité sur les écoles. Des élus quand même.
Des enjeux cruciaux se posent au Québec.
On veut bien donner plus d’autonomie, desserrer l’étau des contrôles administratifs sur les établissements. Mais l’autonomie des écoles ne doit pas accroître les inégalités scolaires. Les citoyens les mieux nantis, les plus scolarisés, habitués à se débrouiller dans des systèmes complexes, vont toujours tirer leur épingle du jeu. Dans le jeu de la concurrence que pourraient vouloir se livrer des établissements autonomes, il ne faut pas oublier les plus défavorisés. Il faut des instances pour veiller à l’égalisation des chances.
On veut bien que les parents aient une influence sur l’éducation, car ils sont eux-mêmes les premiers éducateurs. La majorité des commissaires élus sont parents d’élèves ou l’ont été. Qu’on leur donne droit de vote au conseil semble aller de soi. Mais la démocratie des usagers qui semble tenter le ministre n’a pas que des mérites. Dans un avis sur la démocratie scolaire publié en 2006[ref]Conseil supérieur de l’éducation (2006). Agir pour renforcer la démocratie scolaire. Rapport annuel 2005-2006 sur l’état et les besoins de l’éducation. Sainte-Foy : Le Conseil, 111 p.[/ref], le Conseil supérieur de l’éducation émettait des réserves sérieuses, et je cite :
« S’il est certes favorable à l’inclusion des parents, le Conseil conçoit difficilement l’exclusion des citoyens non usagers. Le Conseil estime que l’élection des commissaires au suffrage universel offre, à maints égards, une meilleure garantie que les valeurs collectives à la base de notre système d’éducation ne seront pas sacrifiées au profit d’intérêts plus étroitement associés à la réalisation des objectifs de la clientèle. »
Dans une démocratie d’usagers, l’une des questions importantes à laquelle on doit avoir des réponses claires, est celle de l’imputabilité. À qui une personne désignée par un collège électoral va-t-elle rendre des comptes ?
À son collège électoral ? Au groupe duquel elle est issue ? En vertu de quels mécanismes ? Veut-on implanter une cogestion avec les parties prenantes locales, représentées au conseil ? Ou maintenir une démocratie dans son plein sens du terme ?
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Les débats actuels ne sont pas anodins. Nous ne sommes pas seulement en train de réviser des processus administratifs. C’est l’équilibre des pouvoirs, garant du bien commun, qui est remis en cause. On ne peut prendre ces questions à la légère.
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