Nouveaux défis pour le président de la commission scolaire
Pierre Collerette
Professeur honoraire
Université du Québec en Outaouais
La nouvelle Loi sur les élections scolaires a introduit des changements qui viennent élargir le rôle du président de la commission scolaire. Comme il s’agit d’une formule qui n’a pas encore été expérimentée, il est difficile de savoir à l’avance comment les choses vont se passer, et c’est d’autant plus vrai que chaque président apportera sa couleur personnelle en fonction de ses motivations et de ses intérêts. Il est néanmoins possible d’entrevoir certains écueils auxquels ils seront exposés.
Rupture ou continuité?
Bien que l’élection du président au suffrage universel constitue une rupture par rapport à la tradition, il est probable que l’on assistera davantage à une évolution dans l’exercice de la fonction qu’à une brisure. Dans les faits, plusieurs présidents jouaient déjà un rôle d’avant-plan et la nouvelle formule viendra accentuer cette tendance.
De façon générale, on peut s’attendre à ce que le président joue un rôle plus actif et plus visible dans la gouvernance de la commission scolaire, avec un conseil des commissaires souvent plus vigilant, parfois méfiant, et avec une direction générale disposant d’une marge de manœuvre un peu réduite. La dynamique s’approchera peut-être de celle d’un maire dans sa relation avec le conseil municipal et avec la direction générale, mais avec une pression médiatique et « populationnelle » beaucoup moins forte, ce qui devrait éviter que cette dynamique tourne à la polarisation.
Une période d’essai et erreur
Durant un certain temps, les élus comme les cadres seront sans doute à la recherche de repères quant à la façon de fonctionner. Il ne serait pas étonnant que l’on ait tendance à reproduire la formule qui existait auparavant, surtout dans les cas où le président nouvellement élu était déjà en fonction ou siégeait déjà au conseil. Il se pourrait bien aussi que durant cette période de transition, comme le veut l’adage, certains dirigeants ne fassent pas ce qu’ils devraient faire, mais plutôt ce qu’ils savent ou ce qu’ils aiment faire. Afin d’éviter le flottement et de favoriser une transition harmonieuse vers la nouvelle formule, il serait sans doute sage d’établir rapidement des règles du jeu claires et partagées avec le conseil et avec le directeur général.
Le président et le conseil des commissaires
Le statut d’autorité du président est désormais renforcé, notamment par rapport au conseil des commissaires. Le fait d’être élu au suffrage universel, d’être celui qui rend des comptes aux instances gouvernementales et d’être en plus le porte-parole de la commission scolaire démarque le président du reste du conseil des commissaires. Il faut voir aussi qu’en n’étant plus élu par ses pairs du conseil, le président vivra une moins grande pression à la loyauté face à ses collègues et se sentira sans doute un peu plus indépendant. Cette position d’indépendance pourrait susciter de la méfiance chez certains commissaires, et peut-être aussi à la direction générale, mais il faut se souvenir que l’organe décisionnel au niveau de la gouvernance reste le conseil des commissaires et que le président a toujours l’obligation de se conformer aux orientations, décisions et politiques adoptées par le conseil. Le président n’est donc pas un atome libre, ni un loup solitaire qui se concentre sur ses causes personnelles; il a bien sûr ses intérêts propres, mais il est aussi le porteur des orientations et des décisions du conseil.
Le président et le directeur général
La relation entre le président et le directeur général sera probablement un peu plus délicate que dans le passé. Le président assume une responsabilité plus large qu’auparavant, mais pour s’acquitter de ses fonctions il peut difficilement se passer de la direction générale. L’un et l’autre doivent collaborer étroitement pour que le travail de la gouvernance et celui des gestionnaires convergent, d’où l’importance de trouver rapidement un mode opératoire où chacun respecte le territoire de l’autre, tout en l’épaulant. Étant donné les risques d’ambiguïté de la période de transition, il serait sans doute utile d’aborder ouvertement la question des modalités de collaboration pour éviter que les attentes restent à un niveau implicite et évoluent de façon divergente au gré des situations.
Mais ce ne sera pas nécessairement facile, car autant le président aura besoin d’une excellente collaboration du directeur général, autant il ne voudra pas donner l’impression de se liguer avec lui aux yeux du conseil ou pire encore, d’être à sa remorque. Il y a donc là une zone sensible, qui du reste se présente presque de la même manière pour le directeur général qui, aux yeux du personnel, doit être vu comme le haut dirigeant légitime dans la gestion de l’organisation. L’un ne doit donc pas faire ombrage à l’autre sur son terrain. Ajoutons qu’il y a pour le directeur général un défi additionnel, car en plus de devoir collaborer avec le président, il doit aussi être un collaborateur de premier ordre du conseil des commissaires. Il a en quelque sorte deux patrons, ce qui n’est pas toujours simple…
Pour faciliter la collaboration, le partage de l’information devrait jouer un rôle crucial. Aucun président ne veut se retrouver avec de mauvaises surprises, que ce soit sur la place publique ou à la table des commissaires, de sorte qu’il doit disposer d’une information à jour sur les dossiers de l’heure et sur les problèmes en émergence. Mais ce ne doit pas être un prétexte pour constamment s’inviter au bureau du directeur général dont l’emploi du temps est souvent assez chargé. Pourquoi ne pas convenir dès le départ de rencontres périodiques de mise à niveau pour le suivi des dossiers et ainsi éviter les multiples contacts ad hoc, qui sont souvent consommateurs de temps?
Gouvernance
et gestion
Il sera parfois tentant de vouloir se substituer au directeur général lorsque des situations problématiques surgiront à l’interne ou dans les relations avec des parents pour l’application des politiques de la commission scolaire. Mais ce serait une mauvaise idée de le faire. Le président (ou le conseil) sortirait alors du territoire de la gouvernance pour s’immiscer sur le territoire de la gestion. Non seulement cela viendrait miner la crédibilité et la légitimité des cadres, mais en plus cela viendrait politiser le fonctionnement interne de la commission scolaire, avec de nombreux dom- mages collatéraux et un processus décisionnel de plus en plus compliqué. En principe, les membres de la gouvernance ne devraient pas se mêler de la gestion, tout comme les gestionnaires ne devraient pas se mêler de la gouvernance.
La gestion est une responsabilité déléguée au directeur général et celui-ci doit rendre des comptes au conseil des commissaires sur la mise à exécution des décisions du conseil, sur les pratiques internes et sur la performance générale de l’institution. Si la gouvernance juge que la direction générale n’obtient pas les résultats souhaités, il faut en discuter avec elle; et si l’on croit qu’elle n’arrive pas à s’acquitter de son mandat de façon adéquate, il faut voir avec elle comment faire pour y parvenir.
Au quotidien, on sait très bien que les commissaires, tout comme le président, sont régulièrement sollicités pour des problèmes particuliers soulevés par des parents, mais aussi parfois par des membres du personnel ou par les médias. Dans ces situations, la tentation est grande tant pour le président que pour le conseil de vouloir investiguer la problématique pour y apporter des solutions et donner satisfaction aux parties prenantes. Ce réflexe est certainement louable, mais la prudence s’impose. Il ne faut jamais perdre de vue que le rôle du président et du conseil est d’abord et avant tout d’adopter des politiques pour un fonctionnement efficace et efficient de l’institution scolaire, pour ensuite veiller à ce qu’elles soient mises en application de façon adéquate. C’est pourquoi, devant les cas particuliers qui sont apportés, le réflexe devrait d’abord être de vérifier si les politiques en vigueur ont été mises en application correctement, et dans les cas où les politiques seraient devenues inopérantes, d’y apporter les améliorations requises. Le traitement des situations à la pièce devrait normalement être référé aux gestionnaires de l’organisation et non être pris en charge par la gouvernance. À cet égard, il revient au président de surveiller les écarts de conduite et d’être lui-même exemplaire.
Une responsabilité relevant clairement du président dans la nouvelle configuration est celle d’être le porte-parole de la commission scolaire. Il s’agit d’une responsabilité importante qui n’est cependant pas dénuée de risques, car ce qui est avancé sur la place publique peut avoir des impacts négatifs à l’interne. Aussi, avant de s’avancer sur un sujet, il est important de bien se coordonner avec la direction générale pour anticiper les impacts possibles à l’interne et s’assurer que l’on soit capable de les gérer.